Les académies du Bolshoï et de l’Opéra de Paris prennent le Lied
Ce récital est l’occasion pour le public parisien de découvrir les futures stars du Bolshoï et de l’Opéra de Paris. Malheureusement, le froid russe touchant la capitale française aura eu raison de deux élèves parisiens, Maciej Kwasnikowski et Farrah el Dibany. Marianne Croux, également touchée, aura finalement réussi à tenir sa place.
C’est la mezzo-soprano Evgeniia Asanova (qui chantait Olga dans Eugène Onéguine à Aix l’été dernier) qui ouvre le concert avec les Poèmes de la reine Marie Stuart de Schumann. Sa voix ample à l’épais vibrato s’appuie sur des médiums bien ancrés, descendant vers des graves charpentés, ou s’élevant vers des aigus fort vibrés. Son phrasé très théâtral bute sur une attitude de glace, mains jointes sur le ventre, mais résonne dans sa diction de l’allemand, aux « r » très roulés et aux « t » claqués. S’appuyant sur sa partition dont elle tourne les pages avec une grande délicatesse, elle trouve derrière elle le soutien du pianiste Mikhail Korshunov, qui accompagne la délégation russe de ses gestes caressant le piano, et restant toujours attentif et délicat dans sa relation aux chanteurs.
Le baryton Timergazin Rauf surprend dans son interprétation de Schubert (Ganymed et Atlas) et Strauss (Rêve au crépuscule), par sa voix très peu timbrée mais à l’immense résonance, et par son assurance à tous les étages de sa tessiture. Cela dégage une douceur bienvenue dans ce répertoire, mais fragilise parfois la ligne vocale, notamment dans les piani. Ses graves sont lumineux et volumineux et les aigus sont vaillants et sûrs. Les accents qu’il produit laissent d’ailleurs entendre le potentiel d’un fier Rocco dans Fidelio. Ici encore, le point faible est théâtral : une posture figée n’aidant pas à transporter le spectateur dans le propos. L'interprète termine son tour de chant par un « Licht » délicat, long et finement vibré, avant d’accueillir les chaleureux applaudissements du public.
Originaire de Saint-Pétersbourg, la soprano Anastasiia Barun entonne avec un sourire radieux la Dédicace, puis Quelqu’un et enfin Le Noyer de Schumann. Sa voix frappe d’entrée par sa grande maturité. Légèrement métallique, elle dispose d’un ample vibrato. Elle teinte son chant d’une grande caractérisation du phrasé, s’appropriant le tempo (parfaitement suivie par Mikhail Korshunov au piano) pour mieux servir le texte. Elle est rejointe ensuite par Evgeniia Asanova pour un magnifique À l’étoile du soir de Schumann où, le regard complice, elles joignent leurs timbres très complémentaires.
Vient alors Marianne Croux, annoncée malade sans que cela ne trouble finalement sa performance. De sa voix claire au vibrato rapide et régulier, bien appuyé, elle atteint des aigus hauts et tranchants, toutefois capables de s’arrondir lorsque le texte le réclame. Placée à côté de son pupitre, elle tourne les pages de sa partition sans jamais y jeter un œil. Avec un allemand plus qu’honorable et une utilisation judicieuse de l’ensemble de la palette de nuances, elle exalte la Patience, la Nuit et la Dédicace de Strauss, revenant même après l’entracte alors que cette seconde intervention avait été annoncée comme annulée.
Après un délicieux interlude instrumental (Quatuor avec piano en La mineur de Mahler, interprété par Jaewon Kim, Marie Walter, Annabelle Gouache et Ben San Lau), l’étudiant parisien Danylo Matviienko interprète un programme associant Medtner (Mer tranquille), Mahler (Quand ma bien aimée aura ses noces) et Loewe (Thomas le poète) dans lequel il se montre particulièrement habile. Sa voix lumineuse est placée haut, avec un vibrato rapide. Il déploie dans le premier Lied un médium très pur, au timbre ténébreux, comme son regard, triste et fixe. Il entonne ensuite le Loewe dans une toute autre couleur, avec un rictus au coin de la lèvre, s’élançant sur un rythme vif et dansant, mettant en avant un phrasé et un port majestueux et théâtralisant son chant pour transporter le public dans le même galop que les amants joyeux.
Pour conclure la soirée, la soprano biélorusse Marta Danusevich vient faire une démonstration sonore dans le Printemps et le Coucher de soleil de Strauss. Si sa prestation ne laisse aucun doute sur sa capacité à chanter le répertoire straussien (notamment Ariane, la Comtesse ou la Maréchale) dans la grande salle de Bastille, elle démontre aussi qu’elle doit apprendre à maîtriser son instrument pour ne pas rendre son chant assourdissant dans des salles plus restreintes (ou, dans d’autres situations, pour ne pas déséquilibrer les ensembles). Elle parvient toutefois, dans le second Lied, à adoucir son chant jusqu’à un mezzo piano délicat au vibrato léger et calme, dégageant une impression de sérénité.
L’ensemble des artistes impliqués dans ce récital viennent récolter le satisfecit du public : décidément, ce soir, de futures grandes voix ont été découvertes !