Sabine Devieilhe et Mathieu Pordoy en récital à Bordeaux : l'art délicat du Lied
Le récital piano-chant est un art de l’épure, et de l’intimité. Deux interprètes sur scène partagent le dénuement d’une forme où le dialogue est roi, en ouvrant leur monde au public, et celui des compositeurs avec. Sabine Devieilhe et Mathieu Pordoy, amis de longue date, ont beaucoup à partager, dont un disque autour des Lieder de Mozart et Richard Strauss paru récemment chez Erato. En tournée européenne, leur récital bordelais était l’occasion de présenter ce répertoire intelligemment combiné de mélodies peu connues du grand public, de courts cycles comme les Mädchenblumen Lieder ("Jeunes filles en fleurs") de Richard Strauss ou le pétillant Nehmt meinen Dank ("Recevez mes remerciements") de Mozart. “Des chefs-d’œuvre écrits sur un coin de table”, comme les qualifie Sabine Devieilhe elle-même. Des partitions qui ont près d’un siècle d’écart, mais pourtant bien des points communs. À commencer par la langue.
Sur ce point, la diction de Sabine Devieilhe est d’une précision redoutable. L’oreille (même des non-germanistes) capte immédiatement les couleurs particulières des voyelles allemandes et les frictions douces des consonnes chantées. L’interprétation sans partition de cette heure et quart de musique dans la langue raffinée des poètes allemands est déjà une performance à saluer, en soi.
Par petites touches dans le récital, quelques pages de Mozart (dont le célèbre Ah, vous dirais-je, Maman !) écrites en français permettent également de révéler cet art délicat de l’équilibre entre projection vocale et intelligibilité du texte.
Ses années passées à cultiver un placement vocal léger, accompagnées de son habitude du répertoire baroque, aident sans aucun doute à faire d’elle la mélodiste qu’elle sait être. Son sens de la conduite, son souffle à toute épreuve, couplé à une qualité d’ornementation subtile, animent les passages badins et enjoués du concert, et tout particulièrement dans Mozart, dont elle est une interprète chevronnée. Mais la voix de Sabine Devieilhe ne se résume pas à la légèreté dont elle sait faire preuve dans ce répertoire. Lorsque l’intensité dramatique de ces courtes histoires en musique augmente (Die Nacht - La Nuit), elle sait enrichir son timbre des couleurs sombres attendues de la musique de Richard Strauss. Le soutien se décuple, et la voix se déploie dans toute son étendue, emplissant en un souffle le vaste auditorium de Bordeaux.
À ses côtés, Mathieu Pordoy est un véritable associé artistique. Impossible de résumer la complicité des deux artistes du soir à un échange entre la soliste et son accompagnateur, tant le répertoire exige de grandes qualités d'écoute. Le pianiste, toujours attentif aux départs et aux respirations de sa partenaire sait soutenir la phrase quand nécessaire. Et lorsque le chant déroule ses vocalises, l'usage modéré de la pédale contribue à assurer les carrures rythmiques sur lesquelles repose la mélodie. Mathieu Pordoy se lance également seul dans deux interludes qui ponctuent le programme (le printanier An einsamer Quelle de Richard Strauss et le Rondo en Ré Majeur KV485 de Mozart). Sabine Devieilhe se tourne dans le creux du piano, fixe le pianiste et devient la première spectatrice d’une interprétation limpide, orchestrale parfois, et brillamment virtuose.
Le public bordelais venu en nombre acclame le moment de complicité musicale auquel il vient d’assister. Des cris enthousiasmes et des applaudissements nourris accompagnent les saluts des artistes, qui offrent deux bis en couronnement de la soirée, dont un Solfeggio écrit par Mozart pour son épouse Constance, et qui a servi de matériau dans sa Messe en Ut.