El Niño du MET, entre exubérances et paraboles
El Niño (L'Enfant, le garçon) a une histoire peu ordinaire, et ce depuis ses origines : John Adams ayant reçu deux commandes au même moment, l’une pour un opéra, au Théâtre du Châtelet, et l’autre pour une pièce orchestrale, pour le San Francisco Symphony, il décide de faire deux pièces en une, en s’inspirant du Messie de Haendel. Le livret, réalisé avec Peter Sellars (également metteur en scène de la création) offre un opératorio bilingue, en espagnol et en anglais, mêlant les textes de la Bible à une sélection de poèmes du Moyen-Âge et de l’Amérique latine contemporaine.
Dans cette nouvelle mise en scène de Lileana Blain-Cruz, c’est ce dernier élément qui semble être le plus important, et les scènes de la nativité (El Niño est bien l’Enfant Jésus) sont transposées dans un monde fabuleux passant d’un océan tumultueux (les courants climatiques du "El Niño" cette fois) aux collines de Tlatelolco (sans se risquer à un véritable parallèle politique), par la forêt Amazonienne. Pas de changements de grands décors dans cet opéra, mais au contraire des décors modulables (ici conçus par Adam Rigg) qui semblent se muer à la manière d’un caméléon au gré des lumières (jeu splendide de Yi Zhao), passant de vagues à montagnes en une seconde.
La scène du MET est alors habitée par des danseurs-performeurs accompagnant les récits et permettant une véritable mise en situation, mais aussi par un trio de madones futuristes, jalonnant les scènes comme différentes références, tour à tour réincarnations de Marie ou divinités. Se retrouvent aussi des marionnettistes discrets, actionnant de derrière les vagues les personnages fabuleux qui apparaissent sur scène, comme les dragons ou la « fille de la lune ».
Les vingt-quatre scènes non réalistes qui se succèdent semblent alors raconter une histoire qui dépasse le Nouveau Testament et parle de femmes seules, d’engagement politique, et de réfugiés… universel et contemporain finalement.
Dans cette version revisitée de la nativité, ce n'est pas une Marie, mais deux mères qui se font face, pour raconter à deux voix les doutes de ce que John Adams a lui-même appelé un « Miracle ». Julia Bullock, qui tient le rôle principal de Marie et chante en anglais, vient visiblement et dès le début de l’opéra captiver le public par sa voix ample et veloutée, avec une chaleur et rondeur de voix qui la font presque passer pour une mezzo. Elle s’attache au texte avec sincérité, en posant aussi une voix claire, presque sans vibrato, mais certains passages tendus dans les premières scènes passent un peu en force et montrent une intonation imparfaite (qu'elle libère toutefois par la suite, avec notamment une maîtrise des vocalises). Daniela Mack, qui lui fait face en chantant en espagnol principalement, propose alors un ton réellement contrastant. Avec un vibrato large, et des tonalités presque caverneuses, la mezzo-soprano travaille l’intensité du personnage vocal, tout en retenue, mais manquant aussi un peu de liberté et de puissance. À la fin du premier acte, elle se révèle alors plus passionnée, et son interprétation devient beaucoup plus fluide et engagée.
Le principal rôle masculin est tenu par Davóne Tines, à la fois Joseph et Hérode. Le baryton-basse travaille les résonances caverneuses et la puissance de ses interventions, tout en ayant un ton plutôt sec et non vibré. Malgré tout, dans l’esprit baroque de certaines des scènes, ses ornementations sont mises en difficulté.
Trois contre-ténors incarnent les Rois Mages, enchantant littéralement le public. Siman Chung, en Melchior, se remarque par des aigus ronds et d'une belle intensité. Key’mon W. Murrah, en Balthazar, accentue la pureté de ses aigus par une voix de tête éthérée et aérienne. Eric Jurenas, en Gaspard, se distingue face aux deux autres par un timbre doux et sec, avec une intonation bien précise mais manquant malheureusement de puissance.
Le chœur est efficace, mais parfois un peu transparent scéniquement et musicalement face à la masse instrumentale dans la fosse, et tous les performeurs sur scène. Les sopranos se remarquent dès le début par leur assurance, en proposant des interventions claires et rythmées, de la même manière que les basses dans leurs contre-chants là encore rythmés et percussifs. Les voix intermédiaires souffrent par contre un peu, et semblent prises en étau entre les deux, faisant un travail davantage de remplissage sonore. L'oreille perçoit cependant la participation des altos à la rondeur du son d'ensemble.
Le chœur d’enfant au contraire, conclut l’opéra avec des voix non pas naïves mais au contraire musicales et assurées, tout en chaleur, et d'une belle cohésion avec l’orchestre.
Marin Alsop, longuement applaudie par le public, et à juste titre, maîtrise en effet à la fois les mouvements d’une scène presque surchargée par les danseurs, performeurs et chanteurs, et une partition foisonnante. Mais elle rend grâce à la complexité de la partition de John Adams, qui vient lui-même saluer sur la scène du MET. L’aspect segmenté de l’opéra-oratorio ne se prête pas à une standing ovation, mais le public applaudit tout de même de manière enthousiaste les artistes engagés de cette production.