Rinaldo à Compiègne : la merveille des machines et des tréteaux
Mise en scène et scénographiée par Claire Dancoisne, l'esthétique du théâtre de foire émerveille par la simplicité de ses moyens. Les terribles Guerres des croisades sont résumées au mouvement de petits soldats-pantins sur des fils de fer, poussés sur de petites carrioles. Quelques bouts de carton peint et découpé font office de flammes, deux bâtons suffisent à faire virevolter les sirènes-marionnettes sur l'océan formé par quelques planches de bois. Des petites merveilles qui deviennent bientôt de grandes machines : un cheval articulé et surtout l'immense poisson volant ainsi que le dragon fumant. La merveille des machines est d'autant plus admirable qu'elle n'est pas défendue par les lumières sombres, les costumes ocre rapiécés, les crinières peroxydées et le maquillage détonnant. D'autant que l'intérêt ludique des machines vire à plusieurs reprises dans la bouffonnerie, notamment avec les sbires des méchants qui reviennent sous différents masques et postures monstrueuses avec une caisse à outils, un bidon de kérosène, une tronçonneuse, pour jouer de la guitare électrique, sans parler de la boule à facettes ni des oiseaux à l'apparence caoutchouteuse tombant du ciel comme s'ils faisaient du saut à l'élastique.
Voulu par Napoléon III, le décorum immaculé du Théâtre Imperial de Compiègne (avec ses sièges moka à l'agréable assise) contribue à la merveille du spectacle. Les colonnes corinthiennes portent les statues, les symboles impériaux et par-dessus tout la coupole majestueuse qui chapeaute une excellente acoustique.
C'est le baryton Thomas Dolié qui en tire le plus de profit, offrant une prestation formidable d'Argante (formant le couple d'ennemis avec la magicienne Armida). Son long souffle cuivré répond aux trompes naturelles de la fosse qui l'annoncent et l'accompagnent. La noirceur de cette voix s'apprécie comme la noblesse de son maintien, l'intensité de ses postures baroques, le tout porté jusque dans les récitatifs (occasion pour lui de reposer certains aigus un peu serrés en voix pleine alors qu'ils sont si doux en voix mixte). Son amante, la magicienne Armida a beau faire son entrée sur un dragon fumant et projeter de grands accents, y compris dans ses vocalises, la voix d'Aurore Bucher reste mesurée dans les nuances. Elle atteint toutefois de doux graves de poitrine et des aigus piquants.
Pour interpréter le légendaire Godefroy de Bouillon, Lucile Richardot n'offre pas la voix la plus large ou sonore qui soit, mais elle sait l'investir de nombreux accents pour tenter de passer la fosse. Almirena, sa fille et promise à Rinaldo, déploie la voix soprano d'Emmanuelle de Negri, parfaitement juste et en place, bien ancrée et projetée jusque dans les vocalises. Elle ravit ainsi l'auditoire par la longueur de son souffle et même certaines envolées lyriques sur l'air aussi attendu que sublime "Lascia ch'io pianga", indissociable du légendaire castrat (et du film) Farinelli. Le rôle-titre de Rinaldo est interprété par le contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Dijan (issu de l’Académie du Festival d’Aix) d'une manière quelque peu estompée mais avec constance et parfois même un échantillon de voix mâle.
Dans l'étroite fosse, les musiciens de l’Ensemble Le Caravansérail (né en résidence à Royaumont) forment deux lignes se faisant face, ce qui semble renforcer leur application et leur écoute mutuelle, chacun penchant vers le clavecin central de Bertrand Cuiller. Cette cohésion de l'intention n'empêche certes pas de grandes errances rythmiques, mais qui se replacent avec les élans (paradoxalement, les délicats passages en contre-temps accentués sont impeccables).
Le spectacle se referme bien évidemment sur la lieto fine : la fin heureuse et merveilleuse célébrant la victoire éclatante des Croisés, l'union des héros et l'emprisonnement des vilains. Après un dragon, la magicienne chevauchait un immense arbre métallique. Désossé par les chrétiens victorieux, il sert à faire un char de parade royale, sous les bravos du public, réservant à la production un accueil impérial.
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