Un cru appréciable pour le Concours Voix Nouvelles 2018
La quatrième édition du Concours Voix Nouvelles (voir nos présentations du concours et des finalistes) s’est déroulée Salle Favart (à l'Opéra Comique) ce samedi 10 février 2018. Il était animé et présenté par l’une de ses premières lauréates, Natalie Dessay, issue de l’édition de 1988 et dont on connait la magnifique carrière opératique (même si ces dernières années elle s’est quelque peu éloignée des scènes lyriques pour se lancer avec son enthousiasme habituel sur de nouveaux projets). Les membres du jury, composé notamment de plusieurs directeurs ou directrices de maisons d’opéras, ont sélectionné pour cette dernière ligne droite, 12 finalistes dont 4 sopranos, 3 mezzos, 2 ténors et 3 barytons, mais hélas pas de basse, ni de contralto, voire de grandes voix dramatiques à l’appel. Même si potentiellement, ce type de voix existe forcément, encore faut-il pouvoir les détecter et surtout les former (les limites actuelles de la formation vocale se font ainsi sentir) ! Loin d’être de réels débutants -plusieurs ont été récompensés par l’Adami et Eva Zaïcik figure sur la liste comme possible Révélation lyrique aux Victoires de la Musique Classique 2018-, tous ces jeunes artistes ont soit d’ores et déjà débuté une carrière prometteuse avec des rôles de premier plan (Kévin Amiel, Eléonore Pancrazi par exemple), soit déjà participé à des productions scéniques dans des incarnations plus secondaires où ils purent se faire remarquer. La plupart ont d’ailleurs un agent artistique pour les accompagner dans leur début de carrière. De fait, le Concours Voix Nouvelles dans cette approche leur permet de mieux se faire connaître et apprécier des théâtres et du public. À la lecture de leurs parcours, il est à noter que tous ont suivi une formation musicale approfondie (pratique d’un instrument notamment) en dehors des études vocales proprement dites, ce qui constitue un atout de poids pour leur devenir.
Dans le répertoire français, il convient de souligner que pour tous la prononciation apparaît bonne. Mais dans le répertoire italien, des efforts doivent être réalisés pour sortir d’une prononciation encore trop attentiste. Six lauréats se distinguent particulièrement, même si le niveau général de la compétition se révèle de qualité avec bien entendu ses limites et ses faiblesses relatives. Parmi les non récompensés, Maxime Melnik, ténor belge de 23 ans, s’égare ainsi un rien avec le redoutable air « Esprits gardiens de ces lieux vénérés » du Sigurd d’Ernest Reyer ou dans le Don José de Carmen : son répertoire est indéniablement ailleurs et plus léger d’essence. Emma Posman (23 ans) possède une jolie voix bien conduite, mais des saturations apparaissent dans les aigus de la valse de Juliette de l’opéra de Gounod et sa Manon de Massenet « Adieu notre petite table » manque encore de caractérisation véritable pour bouleverser.
Le baryton Gilen Goicoechea (28 ans) fait valoir de fort belles perspectives dans la mort de Posa du Don Carlo de Verdi, mais l’air de Zurga des Pêcheurs de Perles de Bizet, fausse bonne idée, nécessite une maturité de ton et d’expression qui reste à acquérir. Ses prestations en scène imposent quoi qu'il en soit de le suivre avec attention. Eléonore Pancrazi (27 ans) possède un tempérament certain allié à une voix de mezzo de qualité que l’air de Concepcion dans L’Heure Espagnole de Maurice Ravel « Oh ! La pitoyable aventure » met pleinement en valeur. Mais le « Nacqui all’affanno » de La Cenerentola de Rossini, sans relief particulier, convainc moins. Elle pourrait quelque peu être rapprochée de la prestation d’Ambroisine Bré (29 ans), voix corsée et bien conduite, très à l’aise dans le ravissant air « Je suis Lazuli » tiré de L'Étoile de Chabrier, plus en retrait dans l’air de Desdemona « Assisa a pie d’un salice » de l’Otello de Rossini qui demande une autre ampleur. Kamil Ben Hsain Lachiri, baryton belge de 24 ans, campe un Papageno qui sur scène doit tout à fait séduire, mais passe à côté des couplets de Brissac « Pour faire un brave mousquetaire » des Mousquetaires au Couvent de Louis Varney dont la réussite repose sur le panache et un sens comique inné qui fait ici défaut.
Sixième lauréat, Kévin Amiel (28 ans) interprète parfaitement l’air de Tonio « Pour me rapprocher de Marie » de La Fille du Régiment (Donizetti), avec un superbe soutien et un diminuendo final maîtrisé. Mais comme ensuite pour « Che gelida manina » de La Bohème (Puccini), il manque à son interprétation comme un élan, une part d’enthousiasme, ce qui a très certainement joué en sa défaveur dans la détermination du résultat final. La soprano colorature, Caroline Jestaedt (27 ans), cinquième lauréate, s’illustre brillamment dans l’air à vocalises de la Fée de la Cendrillon de Massenet, pour donner ensuite une fort sensible interprétation du bel air de Marie « Il faut partir » de La Fille du Régiment. En quatrième position, le baryton Anas Seguin (27 ans), déploie un matériel vocal prometteur et des accents convaincants, tant dans l’air de Riccardo « Ah, per sempre io ti perdei » (Les Puritains de Bellini) que dans l’invocation de Valentin du Faust de Gounod. Dès les premières mesures, le personnage incarné est en place, présent, comme s’il l’abordait au sein d’une représentation et non de façon isolée. C’est indéniablement un plus, mais l’aigu un peu sourd se doit d’être plus affirmé pour mieux convaincre.
La mezzo-soprano Eva Zaïcik (29 ans) se hisse à la troisième place, même si le programme choisi, peu banal pour l’air français -extrait de la Psyché d’Ambroise Thomas -s’avère bien peu porteur. Sa voix de mezzo chaleureuse aux graves un rien appuyés se trouve indéniablement mieux à sa place dans L’Italienne à Alger de Rossini « Cruda sorte ». Après l’air de Louise « Depuis le jour » de l’opéra de Gustave Charpentier, abordé de façon surtout large et sans cette relative sobriété d’approche qui en constitue, avec un legato infini, la caractéristique première, Angélique Boudeville (30 ans), qui vient d’intégrer l’Académie de l’Opéra National de Paris en septembre dernier et qui se place en seconde place, laisse pantois dans l’air d’Elvira d’Ernani de Verdi. La voix révèle ici toutes ses composantes, superbe d’intensité expressive et parée de magnifiques couleurs verdiennes. La cabalette ne lui pose aucun problème et transporte le public par sa précision, son allure, sa fierté dans l’aigu. Elle remporte en sus et c’est parfaitement mérité, le Prix du Public et le Prix décerné par les Opéras Suisses doté de 2000 euros.
En première place donc, la soprano Hélène Carpentier (22 ans), par ailleurs couronnée du Prix de la meilleure interprète du répertoire français, révèle une superbe voix lumineuse de soprano lyrique prête sans conteste pour affronter la scène : l’aigu apparaît particulièrement brillant, d’une rare aisance, la demi-teinte rayonnante ne peut que séduire. Plus encore que dans l’air extrait des Puritani de Donizetti « Qui la voce sua soave…Vien diletto », déjà de grande facture, l’artiste s’épanouit pleinement avec « Dieu, quel frisson… Amour, ranime mon courage » de Roméo et Juliette de Gounod. Dans cette page magnifique, certainement l'une des plus parfaites du compositeur, Hélène Carpentier conquiert toute la salle et le jury par son implication, la séduction dont elle imprègne son chant et des accents de sincérité justes, dramatiquement en place. Point un peu noir au sein de cette soirée excitante, la direction musicale sans grand relief, voire même poussive, de Laurent Petitgirard placé à la tête de l’Orchestre Colonne. L’opéra reste une fête, que diable, même dans un concours !