Diana Damrau et Jonas Kaufmann : le cadeau de Saint-Valentin au disque et à la Philharmonie de Paris
Si je meurs, enveloppez mes membres de fleurs ; Pas de tombe. Couchez-moi le long de ces murs où vous m'avez si souvent vu. Allongez-moi, sous la pluie, le soleil ou le vent ; je mourrai heureux si je meurs pour toi, ma chère enfant.
Mon aimé chante sous la lune près de la maison et je l'écoute allongée. Je m'écarte de ma mère et je pleure des larmes de sang, qui ne sèchent jamais, comme un fleuve, au bord du lit. À travers les larmes je ne sais si le jour luit.
En cadeau de Saint-Valentin pour le 14 février 2018, les deux grandes stars lyriques Diana Damrau et Jonas Kaufmann recomposaient à la Philharmonie de Paris un petit opéra en jouant avec investissement ces Lieder composés par Hugo Wolf :
Le programme a été composé en piochant parmi les Italienisches Liederbuch (Livre de Lieder italiens), composés par Hugo Wolf entre 1890 et 1896 sur des poèmes populaires transalpins traduits et publiés par Paul Heyse en 1860. L'agencement de ce récital a été choisi dans un ordre aléatoire en ce qui concerne les numéros d'origine dans le Livre (enchaînant numéros 1, 4, 39, 3, etc.) car l'idée était de raconter une histoire, de composer un petit opéra en assemblant des mélodies miniatures. Les deux artistes alternent ainsi pour raconter une histoire d'amour avec ses passions, ses rejets, ses haines, ses regrets, ses joies et ses peines. Le texte offre en effet des déclarations d'amour dignes de la Saint-Valentin ("Dénombrant l'autre soir la tribu des étoiles, [la lune] ne trouvait plus son compte : Deux des plus belles, tu les aurais détournées - Ces deux yeux, là, qui m'éblouissent"). Mais il propose aussi des passages terribles : "Comme j'ai perdu mon temps à t'aimer ! Si j'avais adoré Dieu pendant tout ce temps, J'aurais ma place au paradis, Un saint à mes côtés. Parce que je t'ai aimé, joli visage, Je me passe des lumières du paradis Parce que je t'ai aimée, jolie fleurette, Je n'irai pas au paradis."
Les deux interprètes chantant chacun leur tour, ils n'offrent pas de contre-chant mais ne se privent pas pour faire des contre-champs ! Ils multiplient en effet les mimiques et grimaces tandis que l'autre chante. En cela, Diana Damrau et Jonas Kaufmann se sont bien trouvés. Taquins, ils s'encouragent mutuellement et réjouissent le public par de véritables sketchs mélodramatiques, volte-face tempêteuses, brusques sauts lors des accords puissants du pianiste complice, yeux levés au ciel, regards froncés et boudeurs, pétillants et enfantins.
Lorsque le texte fait chanter à Damrau "Bénis soit le vert et celui qui le porte", Kaufmann sort de sa poche de pantalon un mouchoir vert (assorti au foulard de la chanteuse), pour s'en pavaner en le remuant puis le rangeant dans sa pochette de costume. Dans la seconde partie, il sortira un mouchoir rouge, assorti au nouveau foulard de Madame, pour essuyer les larmes de celle-ci.
Vocalement, Jonas Kaufmann rassure complètement après le souci vocal qui l'avait contraint d'annuler Les Contes d'Hoffmann et les stigmates qu'en conservaient ses deux dernières prestations à l'Opéra de Paris (en Lohengrin et Don Carlos). La voix guérie peut notamment s'appuyer -comme toujours- sur une prononciation de l'allemand tout simplement parfaite, grâce à la délicate articulation combinée aux voyelles aussi pures que les consonnes. Glorieux sur la grâce qu'il vante, dolcissimo quelques mesures avant pour louer le charme magique, puis de nouveau funambule sur un puissant filin de voix ("Si je meurs, qu'on m'entoure de fleurs, Je ne souhaite aucun tombeau"), le ténor triomphe, a cappella, sur la puissance du "Ach, des Wahnsinn fasst mich an!" (Ah ! La folie s'empare de moi.)
La soprano Diana Damrau triomphe quant à elle en toute fin de concert, sur "zehn" (son dixième amour à Castiglione). S'appuyant sur le cœur de sa tessiture, un medium assuré, elle monte vers des aigus d'abord très amples mais bientôt francs et directs, ou bien elle descend vers un grave presque crépusculaire, en partie détimbré.
Les deux interprètes sont accompagnés par Helmut Deutsch, dont le jeu puissant fouette les accents des graves dans un nuage de pédale avant qu'il ne chemine sur le clavier, toujours en laissant la primauté aux voix.
L'écoute absolue du public est une preuve supplémentaire de la qualité du récital (et de la renommée des artistes). Seul se fait entendre le doux feulement des feuillets du programme tournés par les spectateurs, la prosodie des chanteurs ayant rendu les sur-titres inutiles.
Un bien beau cadeau de Saint-Valentin offert au public, qui le rend aux artistes avec un tonnerre d'applaudissements, des fleurs, des chocolats et en leur souhaitant bonne route : ce récital en est au milieu d'une tournée dantesque qui parcourt les quatre coins de l'Europe avec 12 concerts en 22 jours.
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