Dietrich Henschel, chef d'orchestre et mélodiste moderne à La Monnaie
Au programme, Johann Strauss Jr., Luigi Dallapiccola, Hans Werner Henze, mêlent avant-gardisme et tradition, un jeu de réorganisation par la classification, la surprise musicale, les accords en désaccord, sans repos de l’âme. Ce récital offre ainsi un bel écho au Prisonnier de Dallapiccola, présenté le mois précédent in loco, en digne héritier de la musique mathématique nerveuse et dodécaphonique (utilisant les douze sons alternativement) mais surtout un pied de nez historique au fascisme, un élan de liberté affirmé qui s’offre avec la rigueur implacable des interprètes.
Décidément, Brahms, Poulenc, Spohr, Dvořák, Dallapiccola, Hans Werner Henze, le public bruxellois semble tendre inexorablement depuis septembre vers une écoute avertie et surtout avant-gardiste du grand répertoire opératique. Le format du récital, intimiste et régulier, l’exercice du chanteur solitaire, accompagné d’un instrument laisse même place ici à un format nouveau, intime toujours mais d’une énergie nouvelle, spontanée et incroyablement vivace.
La direction habile de Dietrich Henschel impressionne dès l'Ouverture de La Chauve-Souris. Puis sa voix chantée étonne. Personnage affable et discret, longiligne, son arrivée enjouée s’efface dès les premières notes tombées pour laisser place à une grande finesse. Les notes perlent, rondes et fines, acides mais d’un velouté surprenant. Au service total de la musique, l’ensemble des dix-sept musiciens oscille sous la baguette du directeur musical, qui donne sa voix aux « Cinque Canti per baritono e otto strumenti su poesie greche » (1956) de Luigi Dallapiccola.
Toujours au service de la musique, la simplicité très humaine de l'interprétation est à la fois investie et fulgurante. Presque parlée, sa voix grave et profonde fait peut-être défaut dans les aigus, aiguisés et tendus, mais elle revêt un naturel, jamais poussif. La voix naturelle, libre et résolument expressive devient le témoin de ce terrible exercice multitâche, accompli grâce à l’instinct musical. Le chef d'orchestre baryton ondule, sursaute, taquine l’équilibre. Presque danseur, il offre une performance d’art contemporain, baguette en main, dans un dialogue complice et perfectionniste avec la phalange et la partition. Le public retiendra notamment la magnifique interprétation du deuxième chant « Dorati uccelli dall'acuta voce, liberi ». Conteur du geste, de la parole et du chant, le baryton offre au terme "ensemble" une signification unique.
Plus sombres, les « Neapolitanische Lieder » d’Hans Werner Henze, emprunts d’une torpeur, d’une angoisse vicieuse auraient surement été mieux servis par une voix plus dramatique et grave. Encore une fois cependant, le naturel prône une connaissance parfaite de la langue, des textes et des enjeux musicaux. Dietrich Henschel réussit le pari d’une musique rebelle peut-être mais totale, quasi-organique et d’une immense homogénéité.