L'Élixir d'amour enivre le Met
Le Metropolitan Opera House de New York a décidément décidé de plaire au plus grand nombre, notamment pour ses productions d'opéras retransmises à travers le globe. Quinze jours après la Tosca de Sir David McVicar, cet Élixir d'amour mis en scène par Bartlett Sher est lui aussi d'un grand classicisme. Les décors de Michael Yeargan sont en toiles et en carton peints, les costumes d'époque signés Catherine Zuber sortent des réserves les jupes paysannes, foulards et chapeaux de paille, les tables sont chargées de victuailles (Adina passant presque tout le spectacle une pomme à la main, Nemorino biberonnant sa bouteille de Bordeaux). À ce sujet, l'un des moments d'anthologie de cette retransmission se déroule durant un entracte ! Le Met profite en effet des ces interruptions pour diffuser des interviews des artistes, mais c'est la cuisinière qui leur vole la vedette en donnant la recette des pâtes d'amour qu'elle prépare pour les chanteurs (qui semblent en effet s'en régaler) !
Pretty Yende offre pour première image d'Adina un sourire radieux, pour premier son un éclat de rire. Ce naturel radieux (travaillé comme le reste de la direction d'acteurs du plateau) soutient, porte même la voix, même si elle ne présente d'abord pas les éblouissantes qualités admirées dans sa Lucia. Toutefois les transitions délicates vers les aigus tirés laissent bientôt place à la voix virevoltante qui fait de Pretty Yende l'une des grandes cantatrices actuelles (et à venir). Les chanteurs de cette représentation ont en fait besoin d'un temps de chauffe (à l'exception remarquable d'une des voix) notamment car la représentation a lieu en matinée (pour être diffusée en direct à 18h en France, elle est donnée à midi au Met). Mais Pretty Yende s'envole tout en conservant son ancrage dès son premier air.
Son amoureux épris, le Nemorino de Matthew Polenzani prend tout comme elle du temps pour atteindre son potentiel vocal (ses vocalises notamment glissent par défaut d'application), mais il s'appuie sur un jeu d'acteur passionné rendant crédible le personnage de jeune ténor amoureux (alors que Polenzani interprète ce rôle depuis de longues années). La prestation culmine, comme il se doit, sur le très attendu "Una furtiva lacrima" réunissant toutes les qualités de l'interprète. Magnifique preuve de l'émulation du plateau qui va crescendo, Pretty Yende rend même mémorable l'air suivant "Prendi; per me sei libero", un haut fait que de tenir la comparaison suite à l'une des mélodies les plus célèbres de l'histoire.
Le trio gagnant de solistes est complété par le Dulcamara d'Ildebrando D'Arcangelo, qui n'a pas besoin d'une seconde pour déployer pleinement ses talents. Il est parfait dans ce registre : aussi bien vocalement que dans la composition d'un noble charlatan fantasque, mélange entre le chapelier fou et Slash des Guns N' Roses avec ses deux acolytes.
Chantant Belcore, le baryton Davide Luciano est à l'aise aux deux bouts de son registre, mais il manque de soutien et dilapide beaucoup de souffle dans le medium. Aucune réserve au contraire pour la souriante et chaleureuse Giannetta de la soprano Ashley Emerson, si ce n'est que son rôle est trop court.
Le chef d'orchestre Domingo Hindoyan réussit avec cette production ses débuts au Met. Si le tempo et le caractère sont d'abord francs, c'est par enthousiasme. Par-dessus tout, il suit attentivement les voix solistes et sait replacer la mesure des choristes bien investis scéniquement. Des qualités et une énergie croissante qui se concluent par les applaudissements du Met et même certains dans la salle de cinéma.