Les Cantates Spirituelles de Bach vont à Herreweghe comme un Gand
Le Chœur du Collegium Vocale de Gand (Collegium Vocale Gent) ouvre le concert avec l'apaisement requis par la cantate "Ärgre dich, o Seele, nicht" (Ne t'irrite pas, mon âme). Précis, méticuleux dans l’articulation des lignes musicales comme des paroles, ses notes très délicatement démarquées permettent de percevoir le génie architectural de Jean-Sébastien Bach, hommage à l'esprit religieux : ces Cantates sont "spirituelles" dans le sens d'Esprit Saint, par opposition aux cantates profanes qui peuvent parler de la chasse, du berger, des paysans, d'Hercule ou du café.
Tout au-devant de l'estrade en âme affligée, seule devant le peuple orchestral, la basse Peter Kooij tend un corps légèrement avancé et ployé, prêt à se jeter dans le vide (qui, heureusement, ne fait ici que 30 cm). L'interprète emplit l'Église Saint-Roch de sa belle voix de narrateur comme des doutes d'un texte implorant l'aide divine. Ses vocalises sont fondues en un seul trait alors que le basson soutient les articulations avec précision.
Le ténor Thomas Hobbs est à l'inverse très articulé et perché sur les hauteurs du fond de l'estrade, surplombant même la contrebasse afin d'apporter à toute l'assemblée des fidèles le salut de l'âme qui repose en Jésus. La ligne est ainsi projetée, mais par une série d'accents qui brise la phrase et éloigne de l'ancrage vocal.
Par une interprétation très inspirée et investie, le contre-ténor Alex Potter à la tessiture d'alto enjoint l'âme à être joyeuse à travers cette vallée de douleurs menant au Paradis. S'il plonge parfois les yeux dans la partition, c'est pour mieux présenter au public un visage ravi, ouvrant de grands yeux et une grande bouche articulée.
Un vibrato rapide et fluet transforme presque la ligne de Dorothee Mields en un long trille. La soprano cisèle un son léger et souvent couvert, mais cette intériorité qui frôle la timidité sied cependant au texte, confessant humblement les erreurs de son âme en ouverture de la seconde cantate du programme, "Herr, gehe nicht ins Gericht mit deinem Knecht" (Seigneur, ne va pas au tribunal avec ton serviteur). Dans ce même esprit d'humilité et d'abnégation digne du lieu et de l'œuvre religieuse, les solistes participent à tous les ensembles choraux.
Philippe Herreweghe peut ainsi conserver une direction retenue et méditative, laissant sonner l'Orchestre du Collegium Vocale de Gand. À l'image du chœur, les instrumentistes déploient de beaux pupitres aussi identifiables que mariés à l'harmonie commune. L'orchestre combine notamment avec précision les notes et phrases par deux, antécédents et conséquents. Le concert se referme dans un chœur rédempteur et les louanges du public : "Cum Sancto Spiritu in gloria Dei Patris, amen" (Avec le Saint Esprit dans la gloire de Dieu le Père, amen).