Levy Sekgapane : « Vivre ma vie à fond »
Levy Sekgapane, vous êtes sur le point de débuter à Paris dans le rôle du Comte Almaviva dans le Barbier de Séville mis en scène par Damiano Michieletto. Comment les répétitions se sont-elles passées ?
La production est merveilleuse, si parfaitement pensée que nous avons pris beaucoup de plaisir à la travailler et à y construire nos personnages. Voir le décor évoluer durant les répétitions permet de se sentir vraiment dans la peau du personnage. C’est une belle production, et je suis heureux d’être à Bastille.
Connaissiez-vous la mise en scène avant d’arriver aux répétitions ?
Oui, j’avais vu la captation de la précédente reprise, avec Lawrence Brownlee et Pretty Yende.
Comment la décririez-vous ?
Elle est très moderne. Elle n’est pas traditionnelle mais c’est l’une des meilleures que j’aie vues. Vous sentez immédiatement que vous êtes à Séville, en Espagne, avec la musique et la danse. Comme elle bouge beaucoup, et que nous devons être sans cesse en mouvement, il y a un travail à réaliser sur le souffle, mais c’est très amusant.
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Vous avez déjà travaillé à Copenhague sur le Voyage à Reims de Michieletto : comment cela s’était-il passé ?
C’était aussi une superbe production. L’œuvre est difficile parce que l’intrigue démarre au milieu de l’action et que la musique part dans tous les sens. Elle est donc difficile à mettre en scène. Il replaçait l’intrigue dans un musée d’art : les personnages y étaient les gens peints sur les tableaux, et qui prenaient vie. On ne savait plus ce qui était réel et ce qui ne l’était pas : c’était très bien pensé. Le public a beaucoup aimé : c’était plein chaque soir. Damiano est un génie de la mise en scène, et en plus il est très agréable de travailler avec lui. J’apprends beaucoup, simplement en l’observant. Quand il a une idée, il nous montre comment la réaliser : il décrit parfaitement ce qu’il attend et il l’obtient immédiatement. C’est parfait pour la mise en scène de comédie.
À Paris, vous chantez la seconde mise en scène du Barbier par Michieletto : vous interpréterez sa première production, créée en 2005, à Florence au mois de mars. La connaissez-vous ?
Non, je ne la connais pas, mais il en a forcément fait quelque chose de très spécial, comme il en a l’habitude. J’aimerais en parler avec lui s’il vient à Paris : il est actuellement à Palerme pour mettre en scène Guillaume Tell. Il viendra probablement deux ou trois jours.
Dans combien de productions avez-vous déjà chanté le Barbier de Séville ?
Je l’ai chanté dans cinq productions, ce qui n’est pas grand-chose car je viens de commencer ma carrière : Rene Barbera [à retrouver ici en interview, ndlr] en est à sa quarantième production ! Mais je l’ai tout de même chanté dans de grandes maisons comme Dresde, l’Opéra allemand de Berlin ou Essen.
Qu’apporte le chef d'orchestre Riccardo Frizza à votre interprétation de l’œuvre ?
C’est la première fois que je travaille avec lui. C’est un spécialiste de ce répertoire. Il m’apporte beaucoup de nouvelles idées pour mieux prendre en compte ma typologie de voix. Ce qui me fascine chez lui, c’est la précision de sa vision musicale et de ses tempi, qu’il choisit toujours avec de solides arguments, percutants. Il interagit avec nous comme si nous étions des instrumentistes de son orchestre afin de créer une réelle homogénéité. Il y a dans son interprétation des passages jazzy, tandis que d’autres sont percussifs comme du rock.
"Je prends mes débuts à l'Opéra de Paris très au sérieux"
Que ressentez-vous à l’idée de faire vos débuts à Paris ?
Je n’arrive pas à me rendre compte de ce qui m’arrive : je n’ai que 27 ans. Je suis très reconnaissant de la chance qu’on me donne de chanter ici. J’aime mon travail et l’Opéra de Paris revêt une grande importance à mes yeux. Je prends ces débuts très au sérieux : j’essaie de hausser encore mon niveau, d’être encore plus précis.
Ressentez-vous de la pression ?
Oui, mais c’est une pression qui me tire vers le haut, et non une pression qui m’écrase. La pression est inhérente à ce métier : c’est difficile mais je l’accepte. Je ne suis pas parfait : je suis encore jeune et j’ai beaucoup à apprendre, et chanter à Paris va m’aider à progresser.
Vous êtes décrit comme un ténor rossinien léger. Comment décririez-vous votre voix ?
Je commence seulement à comprendre ma voix. Jusque-là, je pensais la connaître, mais ce n’était pas le cas. Elle a d’ailleurs beaucoup changé et elle continue d’évoluer. Ma voix me permet de faire face aux difficultés de ce répertoire : les coloratures, la précision, l’agilité. Quand j’ai commencé à étudier ce répertoire, à 22 ans, je pouvais chanter haut et réaliser les coloratures avec une certaine facilité, ce qui n’est déjà plus le cas. C’est d’ailleurs très intéressant de voir à quel point la voix change déjà à mon âge. Ma voix est ce que nous appelons une voix lyrique légère, ou tenore di grazia, comme Rossini décrivait lui-même cette typologie vocale.
Comment décririez-vous votre timbre ?
Certaines personnes disent que ma voix est ancrée haut. Je ne suis pas d’accord : je parle d’ailleurs sur une tonalité bien plus basse que la plupart des ténors rossiniens, comme Juan Diego Florez par exemple qui parle avec une voix aiguë. Mais lorsque je chante, j’ai une certaine facilité pour atteindre les notes aiguës : c’est une vraie chance que j’ai. D’autant que je suis à l’aise malgré tout dans les médiums.
Quelles évolutions vocales percevez-vous ?
Mes médiums se sont renforcés sans devenir sombres, ce qui me permet d’aborder des répertoires plus lyriques, comme Nemorino [dans l’Elixir d’amour, ndlr] que je débuterai en mai au Théâtre de la Hesse de Wiesbaden, aux côtés de Pretty Yende : je n’aurais jamais pu chanter ce rôle il y a un an. Quand j’ai été engagé, je n’étais pas encore capable de le chanter : j’étais content d’explorer ce répertoire, mais j’étais nerveux à l’idée que ma voix n’évolue pas assez vite. Cette évolution devrait me conduire ensuite vers La Somnambule, Les Puritains ou encore Don Pasquale, qui sont d’ailleurs déjà planifiés.
Entre les productions, avez-vous encore besoin de travailler la partition du Barbier ?
Oui, je dois toujours travailler dessus. Vous pensez maîtriser le rôle parce que vous y avez eu un succès une fois. Mais la voix change selon les expériences : à trois mois d’intervalle, vous pouvez chanter différemment parce que votre respiration a évolué sans que vous ne vous en aperceviez. Vous ne vous rendez compte du problème que bien plus tard et il faut alors réapprendre. Je prends donc toujours le temps de me remettre le rôle dans la voix avant le début des répétitions.
Vous êtes déjà très demandé pour chanter Rossini : qu’est-ce que ce succès vous donne comme ambition ?
Mon ambition est simplement de servir ce répertoire avec excellence comme l’ont fait mes idoles, notamment Juan Diego Florez, Lawrence Brownlee ou encore Javier Camarena. J’apprends toujours d’eux, parce que je suis encore jeune : ils sont d’ailleurs devenus mes amis. Sans eux, je ne chanterais probablement pas ce répertoire : j’ai le désir d’atteindre leur niveau d’excellence, avec mes propres caractéristiques vocales. Je me place dans leur héritage artistique. Mon ambition est de poursuivre leur œuvre sans les copier.
Votre voix évoluant, comment pensez-vous faire évoluer votre répertoire ?
Je sens dans ma voix que je dois faire plus de bel canto, mais aussi du Mozart : j’aimerais chanter Cosi fan tutte et Don Giovanni, mais ce n’est pas programmé pour l’instant. Dans quinze ans, je commencerai sans doute à chanter le répertoire français du XIXème siècle. Je chanterai probablement d'abord Guillaume Tell. Les gens s’attendent à ce qu’un ténor rossinien aborde cette œuvre, la maturité venant. Je pourrais aussi chanter La Favorite de Donizetti : Fernand est l’un de mes rôles préférés. La Fille du régiment viendra bientôt aussi. Je ne parle pas très bien le français, je dois donc l’étudier avec un très bon coach français. J’ai encore deux ans pour cela. Mais on ne sait jamais : cela pourrait aussi arriver plus vite dans le cadre d’un remplacement. Chez Rossini, Semiramide, le meilleur opera seria jamais écrit m’intéresse aussi. Je devais d’ailleurs débuter le rôle d’Idreno aux BBC Proms l’an dernier avec Mark Elder, mais je me suis fait voler mon passeport, ce qui m’a obligé à annuler cet engagement, ainsi que mes débuts au Festival Rossini de Pesaro et ma participation à Operalia 2016. C’était un cauchemar !
Vous débuterez donc à Pesaro cette année avec une rareté, Adina : que pouvez-vous nous en dire ?
Je ne connais pas bien cet opéra car je ne l’ai pas encore étudié. Je sais simplement que c’est un opéra en un acte, format typique de Rossini, avec de grands arias et duos.
La mésaventure que vous avez subie en 2016 résonne avec les propos d’Antonello Allemandi qui disait durant son interview à Ôlyrix que jouer à Pesaro donnait un passeport pour jouer Rossini dans le monde entier. Qu’attendez-vous de cette expérience ?
Chaque chanteur rossinien veut chanter à Pesaro : tous les experts de ce répertoire s’y déplacent. Je suis à la fois très nerveux et très excité d’y chanter l’été prochain.
Vous avez finalement concouru à la compétition Operalia en 2017 et l’avez remportée. Qu’en retenez-vous ?
J’ai planifié plusieurs fois d’y participer avant l’été dernier, mais à chaque fois quelque chose m’en empêchait. Ce concours a été pour moi l’occasion de me présenter à des directeurs d’opéra qui n’avaient jamais entendu parler de moi auparavant, notamment des théâtres américains et espagnols, comme Madrid par exemple.
Qu’est-ce qui a changé pour vous depuis ce prix ?
Operalia est probablement le prix le plus important dans le domaine de l’opéra. La plupart des stars actuelles l’ont remporté. Je travaillais déjà dans de grands théâtres avant Operalia, mais ma rencontre avec Placido Domingo a été importante et m’a ouvert beaucoup de portes. J’ai réalisé que je devais travailler dur, parce que les attentes sont aujourd’hui plus élevées autour de moi : il y a plus d’attention sur les productions auxquelles je participe.
Comme vous faites de plus en plus de productions, votre vie doit beaucoup changer. Quels sont les aspects plaisants et désagréables de cette évolution ?
Les bons côtés, c’est que je voyage beaucoup, je rencontre de nouvelles personnes, je découvre de nouvelles cultures. Cette expérience est très intéressante pour comprendre le monde. Je suis allé à Bethléem au moment où la décision de Trump sur l’ambassade israélienne a enflammé la région. J’ai vu les combats sous ma fenêtre et j’ai capturé une vidéo de la fusillade sur mon téléphone. C’était incroyable : aucun article de journal ne peut permettre de comprendre ce pays aussi bien !
La partie désagréable de ma nouvelle vie est aussi liée au voyage. Les décalages horaires et la fatigue peuvent affecter la voix. Aussi, ma famille me manque. Il est difficile de vivre loin d’eux. Je retourne parfois en Afrique du Sud, mais maintenant, on me sollicite toujours pour que je chante lorsque je m’y rends : je ne peux jamais rentrer juste pour être avec ma famille. Les relations, notamment amoureuses, sont également difficiles : vous vous attachez à des gens, mais vous devez ensuite partir.
Le sport est une activité qui vous tient à cœur : parvenez-vous à en faire autant qu'avant ?
Oui : vous le verrez dans cette production ! Je cours comme un gamin. Je fais de mon mieux pour m’entraîner. Je viens de commencer le tennis, mais je n’ai pas encore un très bon niveau. J’espère pouvoir jouer durant mon séjour à Paris. Je fais aussi du football, principalement à Munich où je vis.
Comment gérez-vous la pression inhérente à cette vie ?
Je suis chrétien et je crois en Jésus-Christ. J’essaie de vivre ma vie à fond, en respectant les gens et en leur montrant de l’amour : je suis une personne joviale, et lorsque quelque chose m’inquiète, je la confie à Dieu. Cela ne m’empêche pas de m’amuser ou d’aller en boîte de nuit, d’avoir une vie normale de jeune homme de mon âge ! Je ne permets pas au stress et aux difficultés de m’éloigner de ma vie normale. Je joue également beaucoup de piano pour me distraire et pour évacuer le stress.
Avez-vous déjà prévu de revenir à Paris ?
Je participerai normalement à une nouvelle reprise de ce Barbier de Séville.
Viendrez-vous dans d’autres maisons en France ?
Je suis ravi car je vais chanter dans le Barbier de Séville de Laurent Pelly dont j’apprécie beaucoup le travail, à Bordeaux avec Mark Minkowski. Rien d’autre n’est pour l’instant prévu, parce que je ne suis pas encore très connu des Français, même si j’ai participé à une émission pour Arte. Mais je suis optimiste, ma présence à Paris pourrait peut-être m’ouvrir des portes. J’aimerais chanter au Théâtre des Champs-Élysées, pourquoi pas du baroque. Lyon a également une grande culture rossinienne : Alberto Zedda s’y produisait d’ailleurs. J’aimerais y chanter un jour.
Quels seront les grands événements de votre prochaine saison ?
Je vais prendre le rôle de Nemorino, puis je vais chanter Adina à Pesaro et le Turc en Italie à Hambourg. La même année que mes débuts à Pesaro, je vais débuter au Festival Donizetti de Bergame, dans Enrico di Borgogna de Donizetti ! Une captation en sera réalisée. Je vais aussi débuter à Glyndebourne en 2019, ainsi qu’à Liège dans La Cenerentola. J’ai beaucoup de choses de prévues : mon agenda est déjà plein jusqu’en 2020 !
Dans quels opéras aimeriez-vous faire vos débuts désormais ?
Il y a bien sûr la Scala de Milan et le Metropolitan Opera. Rien n’y est encore programmé cependant. J’aimerais aussi chanter à Los Angeles et dans d’autres maisons américaines.
Avez-vous l’intention d’enregistrer un album ?
Oui, c’est prévu : nous enregistrerons le mois prochain. Je vais appeler ce CD « Rossini Tenors » parce que j’y honorerai trois ténors rossiniens importants du XIXème siècle. Le premier est Giovanni Davide, pour qui Rossini a beaucoup écrit, notamment Otello, Zelmira, le Turc en Italie ou la Dame du lac. Le deuxième est Manuel Garcia, qui était un ténor espagnol pour lequel Rossini a écrit le Barbier de Séville. Le dernier est Andrea Nozzari, un baryténor pour lequel Rossini a écrit Elisabetta. J’aimerais aussi enregistrer du bel canto, comme Donizetti et Bellini, du Mozart car j’ai beaucoup de choses de prévues dans ce répertoire, et aussi du baroque, comme Haendel. La musique sacrée de Rossini m’intéresserait aussi, comme le Stabat mater et la Petite messe solennelle.