Romantique Mozart, Classique Schubert, Magnifique Goerne à la Cité de la Musique
Pour montrer ce qui unit deux génies absolus, et à travers eux deux courants artistiques entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe, le programme encadre ici Schubert (qui a encore tant d'un classique) par du Mozart (qui a déjà tant d'un pré-romantique). L'aîné encadre son successeur au point même que la Sérénade n°9 de Mozart est ici coupée en deux, les quatre premiers mouvements ouvrant le concert (et ouvrant vers Schubert), les trois derniers le refermant. Le lien entre les compositeurs se trouve simplement dans la partition et notamment les passages mineurs de Mozart, mais le Kammerorchester Basel (Orchestre de chambre de Bâle) cherche à renforcer encore l'emportement du génie viennois à coup de grands accents. Mozart éclate avec force cuivres au métal grinçant. Les alternances mezzo piano/forte deviennent une suite de passages pianissimo/subito fortissimo : un peu comme La Surprise de Haydn (symphonie surprenant par un immense accord inattendu), mais avec une surprise éventée à force d'être répétée. Cet effet est d'autant plus regrettable qu'il empêche d'apprécier pleinement la longueur et la délicatesse du son sur les passages plus lents, la précision raffinée des contre-chants aux bois, les timbales bien rebondies et même un crescendo final homogène, rondement mené. Des gages de qualité et de subtilité qui atteignent leur plein potentiel lorsque la phalange accompagne le baryton Mathias Goerne, l'effectif se réduisant et se concentrant (passant d'une trentaine d'instruments à 12 cordes et 5 vents mais sachant surtout s'adoucir en une mélodie de timbres et de couleurs).
Ainsi accompagné et même porté, Matthias Goerne se balance et monte sur la pointe d'un pied puis de l'autre, comme il monte depuis le medium arrondi vers la pointe d'une voix mixte (aux douceurs de falsetto). Le Bonheur amoureux du pêcheur sur un poème de Karl Gottfried Ritter von Leitner le dit bien : "Il voltige Comme un feu follet Et se balance Doucement". Ce balancement s'appuie sur la douceur de l'articulation, aux longues consonnes chuintantes avec des voyelles rondes appuyées sur des dentales précises. Référence parmi les interprètes de Schubert, le baryton sait alléger le tempo en conservant l'intensité pour Das Heimweh, Le Mal du pays (poème de Johann Ladislaus Pyrker), culminant sur ce sentiment emblématique du romantisme allemand : la Sehnsucht (intraduisible, langoureuse et ardente nostalgie d'un vague-à-l'âme).
Grâce à de tels moyens expressifs et vocaux, Goerne peut faire luire les sentiments multiples que l'esprit romantique se plait à mêler telle cette Abendstern, étoile du soir, amoureuse mais qui reste à se désoler en silence. Le chanteur achève le programme vocal et complète sa palette expressive. Soulevant Le Chant du pèlerin, l'allègement du rythme ternaire sait prendre des caractères dramatiques au dernier Lied, Alinda, dans cet esprit romantique associant les tempéraments opposés en oxymore, comme il enchaîne les tonalités majeures et mineures.
Avant que l'orchestre ne referme le programme par une roborative Marche en ré majeur de Mozart et la fin de sa Sérénade, le public offre tant d'applaudissements qu'il obtient un rappel du chanteur. Enthousiasmée et clairement venue pour Goerne, une petite frange du public quitte alors la salle, ayant eu sa ration de beauté vocale et ne souhaitant pas entendre davantage les instrumentistes.