Bouleversants Dialogues des Carmélites à Avignon
Ouvrage puissant et doté d’un texte magnifique de Georges Bernanos, Dialogues des Carmélites constitue l’ouvrage lyrique majeur de Francis Poulenc. Le personnage de Blanche, créé en France sur la scène de l’Opéra Garnier par l’incomparable Denise Duval muse du compositeur, apparaît certainement comme l’un des plus simplement beaux du répertoire d’opéra français.
Alors que le Théâtre des Champs-Élysées et celui de Caen, après le Théâtre de la Monnaie de Bruxelles (retrouvez notre compte-rendu), s’apprêtent à effectuer la reprise de la superbe production d’Olivier Py de Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc (la première de l’opéra est fixée au 7 février), l’Opéra d’Avignon affiche une nouvelle production de l’ouvrage le temps de deux représentations, les 28 et 30 janvier 2018. Loin de démériter et sans posséder les moyens conséquents des scènes précitées, la réalisation tant scénique et musicale de ces Dialogues avignonnais est de très haute tenue.
Alain Timàr, au long parcours théâtral et Directeur du Théâtre des Halles d’Avignon, prend le parti du dépouillement et de l’épure. Trois écrans délimitent la scène. Ils s’animeront de projections vidéos (créées par Quentin Bonami) toutes parfaitement en situation, comme ces mains qui se rejoignent lors de l’entrevue de Blanche et de son frère Le Chevalier de la Force au parloir du Carmel, évocation d’une jeunesse irrémédiablement envolée, ces poings démultipliés et agressifs qui cherchent à forcer l’entrée du couvent, cette évocation du carmel en feu comme dans la vision prémonitoire de l’ancienne prieure. Les lumières de Richard Rozenbaum soulignent par un vaste panel de couleurs différentes, intenses ou diffuses, chaque scène avec un sens profond de la situation. Les costumes (Elza Briand) se rattachent pour leur part à un univers assez contemporain. Les Carmélites sont revêtues d’une blouse beige et d’une coiffe blanche toute simple, l’habit des postulantes est de couleur bleue, à l’image de leur jeunesse. Dans ce contexte qui distille de bout en bout de l’ouvrage une émotion qui jamais ne se relâche, Alain Timàr règle une mise en scène au cordeau, précise et nette, qui confère à chaque personnage une réelle personnalité. La ligne directrice de l’approche d’Alain Timàr repose principalement sur le personnage central de Blanche de la Force. Lors de la première scène, jeune fille encore toute fragile, elle s’endort la tête reposant sur les genoux de son père et entame un songe empli d’épreuves qui la mènera jusqu’au terme de son funeste destin. Actrice ou observatrice douloureuse du drame qui se joue, Blanche ne quitte ainsi la scène à aucun moment. La scène finale s’avère particulièrement poignante : sous un ciel constellé d’étoiles, les religieuses se débarrassent de leurs « défroques civiles » pour reparaître dans leurs tenues de carmélites.
À chaque couperet de la guillotine, elles s’affaissent l’une après l’autre, frappées par un éclair qui les transperce et concrétise leurs vœux du martyr. Trois éclairs frappent Blanche comme si elle entraînait avec elle dans l’au-delà son père bien-aimé et Madame De Croissy qui avait pris à sa charge la peur innée de la jeune femme. Un travail d’ensemble et de concertation qui aboutit à une réalisation d’envergure restant longtemps en mémoire. Au rôle-titre de Blanche, Ludivine Gombert offre sa belle et souple voix de soprano, au vibrato léger, à l’aigu facile et parfaitement placé. S’éloignant d’une Blanche un peu tremblante voire animal blessé, elle incarne une jeune fille de son temps, fort craintive il est vrai mais passionnée.
Catherine Hunold domine le rôle si beau de Madame Lidoine, la nouvelle prieure aux assises terriennes et pourtant si humblement proche de ses compagnes, d’une voix magnifique, au legato parfait, à l’aigu flamboyant. Marie-Ange Todorovich, artiste et cantatrice de tempérament, campe une Madame de Croissy exaltée, presque inquiétante, dernière représentante d’une aristocratie religieuse en déclin. Sara Gouzy illumine de son frais soprano le joli et innocent rôle de Constance. Blandine Folio-Peres, pour sa part, malgré un matériau vocal moins opulent que ses consœurs, dresse un beau portait de la terrible et si intensément investie, Mère Marie de l’Incarnation. Les aigus terribles du rôle apparaissent percutants et glaçants. La satisfaction est moindre du côté de la distribution masculine : Frédéric Caton interprète un Marquis de la Force solide, mais la voix un rien délicate de ténor de Rémy Mathieu se heurte à la partie difficile du Chevalier qui demande plus de plénitude. Il en va un peu de même pour Raphaël Brémard dans le rôle de l’Aumonier. Par contre, les deux interprètes du premier Commissaire (Alfred Bironien) et du second Commissaire (plus l’Officier et le Geôlier, Romain Bockler), remplissent bien leur office. L’ensemble des Sœurs, très à l’unisson et d’une belle musicalité, est à saluer sans réserve. À la tête du Chœur et de l’Orchestre Régional Avignon-Provence, Samuel Jean donne corps avec une forte conviction à la musique de Francis Poulenc. En dehors de quelques moments un peu forts pour cette salle provisoire d’Opéra Confluence et de tempi un rien ralentis en première partie, sa direction s’avère fort convaincante sur la durée et surtout en phase avec la réalisation scénique proposée.