Contes d’Hoffmann à Monte-Carlo : Offenbach et les trois drôles de drames
Il est question dans cette énumération de récits autobiographiques d’expériences amoureuses, multiples et illusoires. Elle bâtit une grande arche féminine (Olympia l’automate, Antonia la chanteuse, Giulietta la courtisane) dont la réunion en Stella n’a définitivement plus, pour l’écrivain éprouvé dans sa chair et son identité, le goût de l’absolu. Car il faut que ces femmes meurent des multiples mains du malin. Hoffmann, figure d’écrivain taillée pour et par la musique, trouve le salut, au terme de sa narration, dans l’esprit du poème et du vin.
Le fantastique, celui de l’effroi, y est le reflet du quotidien des lieux, des objets et des relations intimes : muséum d’histoires naturelles. Il tend ses voiles d’ombres précises ou scintillantes dans les moindres interstices des scènes — de vie — habillées en rouge et noir, par les différents drapés de Jean-Louis Grinda (mise en scène), Laurent Castaingt (décors et lumières) et David Belugou (costumes). Les dispositifs scéniques questionnent l’opticité du rapport au monde de l’écrivain-compositeur, Hoffmann, avatar d’Offenbach. Les prothèses oculaires, des lorgnons aux lunettes 3D, sont les accessoires dotés, avec les différents paravents, de la plus grande efficacité symbolique.
Le plateau vocal, haut en couleurs, y ajoute les siennes. Hoffmann est déclamé et narré du début à la fin de l’histoire par le ténor péruvien Juan Diego Flores. Sa diction, elle-même chantante, se met tout entière au service de cet opéra du verbe. Onomatopées et assonances sont intégrées dans ses amplifications d’acmé. Ses aigus, mélodramatiques, ne sont jamais survocalisés, grâce à une gestion du souffle époustouflante.
Ses drôles de dames, Olympia, Antonia, Giulietta, Stella sont tour à tour investies par la soprano russe Olga Peretyatko. Elle leur ajuste un débit et une gestuaire — plus que gestuelle — mécanique, sacrificielle ou enjôleuse. D’un drame à l’autre, elle décompose et recompose vocalises et trilles de son timbre à la lumière efficace, s’enrayant, mellifluent et froufroutant à la demande.
Une mention d’exception est à accorder aux Lindorf, Coppélius, Dr Miracle, Dapertutto assurés par la basse Nicolas Courjal. Il a, physiquement, la statuaire — plus que la stature — et la beauté du diable, mêlant l’extase à l’effroi. Sa voix, d’outre-tombe, s’imprime idéalement dans la bande passante, quasi radiophonique, du théâtre Garnier. Voix venue d’ailleurs et pourtant si vivante, dans sa manière caractérisée de doter chaque voyelle, chaque consonne de sa propre couleur significative, instrument millimétré de manipulation et de pression.
Nicklausse est le rôle travesti tenu par la mezzo-soprano Sophie Marilley, comme l’ombre labile et souple de l’écrivain, son reflet de secours. Ses aigus sont puissants, bien et longuement vibrés. Elle investit ses différents registres, mais tour à tour, sans parvenir totalement à rendre l’ambitus homogène, depuis les hauteurs jusqu’à un registre medium légèrement engorgé. Andres, Cochenille, Frantz, Pitichinaccio sont tenus par le ténor Rodolphe Briand, mime vocal qui sait jubiler de tous ses instruments de scène.
Se mêle à ce quintette de tête, une rangée choisie de rôles secondaires, que l’on ne peut arranger que selon l’ordre alphabétique, tant les jeux d’apparition sont complexes :
Crespel est assuré par l’instrument rocailleux de la basse Paata Burchuladze. Hermann et Schlemil bénéficient de la diction colorée d'une autre basse, Yuri Kissin. Enfin, Luther est l’inamovible tenancier Antoine Garcin. La Mère d’Antonia est la reine du crépuscule de la mezzo-soprano Christine Solhosse. Le ténor Marc Larcher donne à Nathanaël une projection sonore et luxueuse, alors que Spalanzani a la rondeur vocale du ténor Reinaldo Macias.
L’Orchestre philharmonique de l’Opéra de Monte-Carlo est placé sous la baguette heureuse de Jacques Lacombe, à même d’impulser la rythmique serrée que le compositeur reprend au genre comique. La sonorité d’ensemble est vif argent, et garantit dès la première seconde l’immersion parfaite du spectateur. Les chœurs y ajoutent leur carnaval splendide. L’œuvre, dans l’écrin du théâtre Garnier, scintille comme un diamant, qui n’en finit pas d’éblouir un public définitivement enchanté.