Un bal masqué en noir et blanc à Bastille
La production d’Un Bal masqué de Verdi par Gilbert Deflo n’avait plus été donnée par l’Opéra de Paris depuis 2009. Sa programmation en cette rentrée fait écho à La Bohème de Puccini qui a clos l’année 2017 : l’une est aussi sobre que l’autre était extravagante. L’œuvre, dont à peu près chaque extrait peut être écouté en boucle sans générer de lassitude, est bien mise en valeur par cette mise en scène, proche parfois de la version concert, de beaux décors et costumes (signés William Orlandi) en plus, les partitions gênant l’expressivité des interprètes en moins. Chacun des cinq tableaux dévoile un décor en noir et blanc, froid comme le marbre du palais du Comte ou chaud comme les flammes qui peuplent l’antre d’Ulrica. La chorégraphie des Arlequins et Colombines imaginée par Micha van Hoecke pour le dernier tableau tranche également avec le statisme régnant auparavant, le théâtre étant alors quasiment absent (ce qui aura permis à Sondra Radvanovsky de chanter dans Poliuto de Donizetti en concert trois et six jours avant la première).
C’est Piero Pretti qui chante le rôle du Comte Riccardo, d’un beau timbre doux et cuivré, légèrement nasal, typique des ténors italiens. Convaincant dans la prosodie (il détache chaque syllabe selon le sens), il lui manque l’insouciance du Comte pour l’être totalement dans le jeu scénique. Il affronte les quelques grands écarts de tessiture en s’élançant vers des aigus vaillants pour retomber d’un coup sur un grave émis en voix droite. Simone Piazzola est l’un des barytons verdiens les plus demandés du moment. Bien qu’aucune annonce de maladie n’ait été faite, il apparaît pourtant en méforme. Sa voix étant voilée, il compense en abusant d’une couverture vocale qui réduit encore son volume et d’un legato qui nuit à son phrasé. Il génère ainsi de sérieux déséquilibres dans les ensembles auxquels il participe, d’autant qu’il est également l’auteur d’imprécisions rythmiques. Heureusement, la noblesse soyeuse de son timbre et sa maîtrise du souffle lui permettent d’offrir de beaux moments durant ses arias (lorsque l’orchestre ne le couvre pas).
Sondra Radvanovsky en Amelia obtient un triomphe après chaque aria, ainsi qu’au moment des saluts. Sa voix intense perce sans difficulté le mur de l’orchestre. Aiguisée, sa voix porte les sanglots de son personnage dans son vibrato, composant un caractère dramatique renforcé par des graves glaçants et par les éclats métalliques qui surgissent dans son timbre. Dans son air « Morrò, ma prima in grazia », elle infuse les nuances qu’elle réservait jusque-là, bien suivie par le chef Bertrand de Billy (réservez ici vos places pour entendre et voir Sondra Radvanovski dans Le Trouvère). Verdi a composé un second rôle de soprano, et bien lui en a pris : c’est Nina Minasyan qui interprète avec malice et vivacité l’espiègle Oscar. De son timbre satiné, elle lance une voix à la fois légère et ronde dans l’aigu, atteignant même des suraigus ciselés. Les vocalises sont tranchantes et découpées : elles s’envolent avec le chant d’oiseau de la flûte qui l’accompagne. Le rôle de mezzo-soprano de l’opus, celui d’Ulrica, magicienne aux prophéties auto-réalisatrices, est tenu par Varduhi Abrahamyan (à retrouver ici en interview). Elle expose d’envoûtants graves ténébreux. Sa voix charnue vibre rapidement, générant une dramatisation du propos.
Les deux comploteurs, Samuel et Tom, sont respectivement campés par Marko Mimica, dont le grimage empêche de nouveau le public parisien d’observer ses traits (après La Clémence de Titus le mois dernier), et Thomas Dear. Le premier dispose de graves larges et sonores, tandis que le second, plus en retrait, laisse entendre un timbre moelleux et gorgé d’air sur une ligne vocale très structurée. Ancien membre de l’Académie de l’Opéra et popularisé par le documentaire L’Opéra dans lequel il apparaît, Mikhail Timoshenko dispose déjà, à 24 ans, d’admirateurs ovationnant sa courte mais très sérieuse intervention. Sa voix assurée porte, y compris dans des graves profonds et intenses.
Le Chœur de l’Opéra, dont le rôle est primordial dans l’intrigue, est globalement en place, les basses brillant dans leurs interventions dynamiques et précises. Les femmes entourant Ulrica sont en revanche plus apathiques, ce qui provoque des décalages rythmiques. L’Orchestre se réfère à la battue souple du chef, qui impose sa patte dès l’ouverture : les premières mesures sont jouées sur une nuance piano et un tempo particulièrement lent. Cela laisse alors à certains spectateurs indélicats le temps de finir leur conversation, de laisser sonner leur portable ou de prendre quelques photos avec flash. L’introduction est ainsi langoureuse puis accélère dans un crescendo jusqu’aux coups d’archet tranchants des cordes, qui annoncent la trahison. La suite se révèle plus traditionnelle. Le public réserve aux protagonistes un accueil mitigé, mi blanc mi noir.
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