Un Barbier au TCE : enchantés, les enfants chantèrent
Ce Barbier présenté au Théâtre des Champs-Élysées en version réduite est à la taille de son public d’enfants. Son décor, des maisons de poupée, l’est également. Créé à Rouen, spécialiste du genre, cet opéra a l’originalité d’être participatif. Autrement dit, le spectateur junior (et son instituteur ou ses parents) a accès à des enregistrements d’extraits de l’opéra, afin de pouvoir s’exercer à chanter les parties dévolues au public. C’est donc un mois avant la représentation que notre cobaye, six ans, a fait la connaissance de ces quelques extraits. L’adhésion fut totale et une répétition de quelques minutes intégrait dès lors son rituel du soir. L’enthousiasme ne faiblissait pas au fil des jours, ce jeune garçon profitant du plein air et des vacances pour chanter à pleine voix dans une énergie tempétueuse les paroles apprises par cœur. Force est de constater qu’il n’était point seul en ce cas, si l’on en juge par l’application générale des enfants présents au concert. Tous surent manifestement faire fi de la difficulté de la partition laissée aux enfants : de courts segments démarrant sur des contretemps, qui semblent se répéter tout en changeant légèrement. Autre point apportant de la confusion : il est expliqué en préambule des enregistrements que l’enfant doit suivre la voix féminine, alors que deux voix féminines s’entremêlent parfois, celle du chœur et celle de Rosine. Le jour du spectacle toutefois, nulle hésitation possible : la salle s’allume quand le public est sollicité et la chef de chant se lève dans un bain de lumière afin de guider les chanteurs en herbe avec une énergie communicative.
Pour l’occasion, et pour être compréhensible d’un public trop jeune pour les surtitres, le livret est traduit en français par Gilles Rico (déjà à l’œuvre dans La Princesse légère présentée à Lille). Cela permet de glisser quelques phrases modernisées qui font rire le public accompagnateur (« Qui est la star de tout le quartier ? Qui en soirée part toujours le dernier ? » demande Figaro dans son air). Mais quelle bizarrerie que d’avoir traduit « La calunnia » par « Le scandale ». Alors que la traduction littérale aurait fonctionné à merveille, le terme choisi ne respecte plus le nombre de pieds, gênant la prosodie de l’interprète, et surtout, ne respecte plus le sens : un scandale, par définition, est tout de suite tonitruant et ne démarre pas « ras la terre », au contraire de cette bonne vieille et insidieuse calomnie. Le découpage de l’œuvre fonctionne en revanche à merveille, l’action restant claire et bien structurée. La durée, encore un rien longue pour les spectateurs les plus jeunes, est bien adaptée aux autres.
La mise en scène de Damien Robert est ingénieuse et très visuelle, ce qui plait à son public. Les maisons de poupées s’ouvrent pour créer la chambre de Rosine ou le cabinet du docteur Bartolo (qui est ici réellement médecin, ce que l’on ne voit finalement pas si souvent !). Durant l’ouverture, un camion miniature télécommandé traverse la scène, faisant briller les yeux du jeune public, avant de s’encastrer dans le cadre de scène et de s’immobiliser. Malgré cet incident cassant l’effet initialement recherché mais créant une situation comique inattendue, la réplique grandeur nature du camion apparaît en fond de scène, amenant à la fois Almaviva, qui se passe cette fois de Fiorello pour déclarer sa flamme à Rosine, et le piano forte en charge du continuo, les récitatifs ayant été maintenus.
Le rôle-titre est assuré avec énergie et bagout par Anas Seguin, de son timbre brillant. Sa projection large et ample bute sur une prosodie manquant parfois de fluidité, ce qui gêne la compréhension. Son souffle long lui permet de belles tenues de notes, dont il joue théâtralement, gardant dans la durée une vibration régulière. Poupée de cire et de son, au jeu scénique proche du mime, Rosine est chantée par Inès Berlet avec un vibrato léger et rapide pour un timbre très pur. La voix est serrée dans le médium et prend ses aises dans des aigus très fins. Les vocalises, expressives, sont agiles et lui valent des applaudissements fournis au moment des saluts. Le Comte Almaviva de Mathieu Justine tient la fougue du personnage. Il bénéficie d’un joli timbre dans le médium, dont il ne parvient cependant pas à maintenir la structure dans l’aigu, ce qui provoque de nombreux déraillements, notamment dans la première partie de l’œuvre, la voix semblant se chauffer au fil de la représentation. Son legato est soigné et sa diction très compréhensible.
Le Docteur Bartolo est chanté par Thibaut Desplantes avec un phrasé autoritaire et un timbre riche en harmoniques, qui peine à s’épanouir dans les extrémités de la tessiture. Son articulation impeccable lui permet de finir son grand air à un tempo très relevé tout en restant compréhensible. Enfin, Basilio est interprété par Olivier Déjean. Ses graves sont sûrs, vibrants et lumineux. La voix volumineuse s’impose ainsi avec facilité face à un Orchestre de chambre de Paris léger sous la direction de Joël Soichez (en remplacement d’Adrien Perruchon). Le chef trouve la souplesse du style rossinien d’une battue claire et précise qui aurait simplement gagné à offrir une tempête moins timide. Le verdict de notre spectateur-test en culotte courte correspond à celui du reste du public et démontre une grande impatience de retrouver une offre d’opéra adaptée à leur âge. Mais comme le rappelait Éric Huchet dans sa récente interview, ces jeunes enfants auront besoin que leurs parents franchissent le pas !