Max Emanuel Cenčić fait résonner Porpora et Haendel au Théâtre des Champs-Élysées
Max Emanuel Cenčić a souhaité rendre hommage au compositeur Nicola Porpora (1686-1768) dans le cadre du 250ème anniversaire de sa disparition. Outre un récital d’airs d’opéras sérias inédits en cours de parution chez Decca avec l’Ensemble Armonia Atenea et George Petrou qui l’accompagnent pour cette soirée au Théâtre des Champs-Élysées, une intégrale -la première au disque et toujours chez Decca- d’un ouvrage emblématique du compositeur, Germanico in Germania sort dans le même temps avec Julia Lezhneva et la Capella Cracoviensis dirigée par Jan-Tomasz Adamus.
Intitulé « The Rivals », le concert proposé en ce 15 janvier vise à confronter des extraits d’ouvrages lyriques de Porpora et Haendel au temps de leur rivalité à Londres dans les années 1730. Pour exposer ses choix, le contre-ténor s’est métamorphosé en musicologue averti, donnant en lecture en début de concert, puis le complétant en seconde partie, un texte remarquable rédigé par ses soins. Ce dernier établit une sorte d’état des lieux de l’opéra séria italien à Londres dans la première moitié du 18ème siècle, mettant en évidence l’incroyable engouement suscité par cette musique dans la très riche aristocratie anglaise, la « guerre de tranchées » qui devait opposer les deux compositeurs, les caprices et débordements des Divos -les castrats déifiés de l’époque comme Farinelli, élève de Porpora ou Senesino-, mais aussi des Divas comme la Cuzzoni, dont le nom est étroitement lié à celui de Haendel (croisement détonnant entre Callas et Angela Gheorghiu comme le note non sans humour l’auteur). Quelques spectateurs trouvent son intervention un peu longue, mais elle a le grand mérite d’éclairer une période particulièrement significative sinon fondamentale dans l’histoire de l’opéra. Il reste à souhaiter la parution intégrale du texte.
La musique de Nicola Porpora compose la première partie de soirée au plan vocal, avec des airs extraits d’Ifigenia (1735) « Tu spietato non sarai », puis d’Ariane à Naxos (1733) « Nume che reggi il mare ». Comme souvent chez Max Emanuel Cenčić, la voix doit se chauffer un peu avant de pleinement briller. Elle paraîtra à son sommet dans deux autres airs de Porpora issus de Meride e Selinunte « Torbido intorno al core » avec un legato souverain et une magnifique expression de douleur, ou dans Filandro (ouvrage plus tardif daté de 1747), « D’esser gia parmi » dans lequel la virtuosité ne cède en rien à l’expression. Chez Max Emanuel Cenčić, ce qui paraît toujours remarquable, c’est que le musicien domine toujours le virtuose : aucune gratuité dans son chant, aucune compromission à l’effet ! La seconde partie se trouve dédiée à Haendel, avec en ouverture deux extraits d’Orlando (1737), ouvrage chéri par l’interprète « Già l’ebro mi ciglio » et « Cielo, se tu il consenti », airs brillants et redoutables dans lesquels la voix du contre-ténor fait résonner des graves de qualité et démontre une technique presque insolente notamment dans les parties vocalisantes. Arminio (1737) termine le concert avec deux extraits « Al par della mia sorte » et « Si, cadro, ma sorgerà » qui soulèvent d’enthousiasme le public du Théâtre des Champs-Élysées.
Il faut louer sans partage l’ensemble Armonia Atenea et son chef George Petrou tant ils font corps avec l’approche
de Max Emanuel Cenčić. Les parties purement instrumentales sont d’ailleurs très longuement applaudies : Concerto pour deux
pianos en la mineur RV 522 et Sonate en trio en ré mineur op.1 n°
12 RV 63 d’Antonio Vivaldi, cette dernière toute emplie d’énergie
et de précision, puis toujours de Vivaldi le terrible Concerto pour
basson en mi mineur RV 484. En bis, Max Emanuel Cenčić offre un
troisième extrait d’Arminio et surtout un air de l’intégrale à
paraître, Germanico in Germania de Porpora interprété
avec une vaillance extrême, se jouant des écarts et des pièges
tendus. Sans bien entendu ralentir sa carrière de chanteur, le
contre-ténor va intensifier son travail de metteur en scène ces
prochaines saison avec La Dame du lac de Rossini, Il Pastor Fido
de Haendel et Don Giovanni de Mozart. Il n’a donc pas fini de
surprendre !
Concernant Nicola Porpora, il est à noter que l’étoile montante des contre-ténors, Jakub Jozef Orlinski lui rendra hommage lors de son premier récital parisien Salle Gaveau le 24 janvier prochain à 20h30. Il sera accompagné par l’ensemble Il Pomo d’Oro dirigé par Dmitry Sinkovsky. Ôlyrix sera présent.