Entraînantes Valses de Vienne de Strauss à l’Odéon de Marseille
Notamment depuis le Congrès de Vienne, en 1815, la capitale autrichienne est un centre majeur de la politique et de la culture européenne. Profitant de la paix nouvelle, les habitants y vivent un Gemütlichkeit, une atmosphère de bien-être et de joie de vivre : les habitants s’enivrent de musique, de danse et de vin. Les œuvres de deux compositeurs illustrent parfaitement cette époque heureuse : Johann Strauss père (1804-1849) et Johann Strauss fils (1825-1899). Le premier est celui qui a tant contribué au développement de la valse viennoise, danse énergique, tournoyante, d’origine populaire. Comme il fait bon vivre à Vienne et qu’on aime y boire, la ville en devient naturellement la capitale de l’humour, avec toutefois toujours de l’esprit et de la finesse. Le théâtre est donc un milieu propice pour encourager la parodie et la satire. Cette effervescence inspire les compositeurs qui se mettent à créer des opérettes. Strauss II est même encouragé par Jacques Offenbach (1819-1880) à en écrire, lorsqu’ils se rencontrent en 1860. C’est ainsi que de nombreuses valses, danses idéalement sensuelles et festives, furent créées pour ces œuvres légères.
Parce que les valses des Strauss sont toutes idéales pour l’opérette et que, connues et appréciées, elles seraient à coup sûr une belle affiche, Erich Wolfgang Korngold (1897-1957) et Julius Bittner (1874-1939) eurent l’idée de les arranger et d’en fabriquer une opérette en trois actes, intitulée Valses de Vienne. Créée le 18 mai 1931 au Theater an der Wien, elle raconte l’histoire des amours du jeune Strauss fils – avec la musique et Mademoiselle Rési – et des souffrances dues à la célébrité de son père, qui refuse de voir les talents de son fils. Très vite remarquée par le Directeur du Châtelet de l’époque, Maurice Lehmann, une version française est créée au Théâtre de la Porte Saint-Martin le 21 décembre 1933. C’est celle-ci que présente le Théâtre de l'Odéon de Marseille.
La mise en scène est confiée à Jack Gervais, grand habitué de l’Odéon et des opérettes, qu’il affectionne. Aujourd’hui, pas de lecture politique ou de transposition pour moderniser l’œuvre : les accessoires et le mobilier sont réduits au strict nécessaire, devant des toiles peintes encadrées par des décors en carton. Une simplicité qui se montre efficace et même jolie. L’attention est particulièrement soignée quant aux costumes – pour une opérette de valses viennoises, le contraire aurait été dommage ! C’est justement un costumier spécialisé d’opérettes qui signe les très beaux habits, de la bordelaise Maison Grout.
Johann Strauss fils est incarné par le ténor Christophe Berry. Son premier air « Demain, c’est peut-être l’amour » (acte I) convainc tout de suite : la projection est naturelle, le timbre joli sur toute la tessiture, la diction est soignée et la présence possède un certain charisme. Par la suite, la voix semble toutefois fatiguer un tout petit peu, sans que cela ne gêne vraiment ses interventions.
La jeune et charmante Rési est interprétée par la lumineuse Amélie Robins. Ses aigus perçants et son souffle agile attisent l’admiration des spectateurs. La légèreté et la simplicité de sa voix parlée s’éclipsent lorsqu’elle chante, gagnant un timbre plus puissant et un fort vibrato. Si celui-ci avait été moins présent et les consonnes l’avaient été davantage, la compréhension du texte de ses airs aurait cependant été bien meilleure.
Les plus beaux airs sont réservés à La Comtesse Olga, chantée ici par Laurence Janot, toujours avec la grâce qui sied à son personnage. Elle est particulièrement applaudie pour son duo avec le fils Strauss « Une fée a passé » (acte I). L’insolente mais attachante Pépi est interprétée par Julie Morgane. Excellente comédienne, sa malice amuse tout le long de la soirée. Elle est aussi une bonne chanteuse, maîtrisant toute une palette de timbres en fonction des caprices de son personnage. La scène ouvrant l’acte II « Ah ça, Monsieur » est particulièrement plaisante, avec le candide Léopold. Le rôle de celui-ci est confié à Grégory Juppin, spécialiste dans les comédies musicales. Sa voix n’est donc pas celle d’un chanteur lyrique – d’où une grande hétérogénéité avec la voix d’Amélie Robins lors de leur duo « En amour, c’est plus gentil » (acte I) – mais sa projection est naturelle, sa diction est toujours très bonne et son personnage est aussi tout à fait convaincant, amusant, voire lui aussi attachant. Les deux artistes se montrent aussi de bons danseurs lors de ce duo.
Membre de la troupe sédentaire de l’Odéon, le public connaît bien Antoine Bonelli, qui incarne Wessely (père de Léopold), et l’accueille par des applaudissements dès son entrée sur scène. Malheureusement, son rôle ne lui offre aucun air, ne chantant alors que dans les ensembles. Il est néanmoins possible d’entendre Philippe Fargues, dans le rôle d’Ebeseder (père de Rési), lors de l’amusante chanson à boire « Quoi de plus joyeux » (acte II). Tous deux font preuve de leurs talents de comédiens, tout comme les autres membres du plateau, particulièrement Jean-Claude Calon en orgueilleux Strauss père et Jacques Lemaire en impulsif Prince Gogol.
La direction musicale est confiée à Bruno Membrey. Les pupitres des vents sonnent toujours bien et homogènes, si ce n’est quelques fois une trompette un peu trop éclatante par rapport à l’ensemble (d’où quelques couacs bien audibles). Les cordes se montrent plus décevantes, avec des violons à la justesse souvent douteuse et des démanchés approximatifs. Le Chœur Phocéen, préparé par Rémy Littolff, sonne bien homogène et équilibré, mais les hommes pourraient gagner un peu en prononciation pour être parfaits. Malgré ses efforts certains, la direction semble manquer de précision, l’ensemble orchestre/chanteurs accusant souvent d’attaques décalées, les seconds traînant souvent derrière le premier, ou inversement. Le célèbre Beau Danube bleu qui clôt le deuxième acte est certainement trop lent pour faire apprécier son aspect pétillant. Les moments purement musicaux, tels que celui-ci, sont toutefois magnifiés par l’intervention de trois couples de danseurs, sur les chorégraphies d’Estelle Lelièvre-Danvers.
C’est sur l’entraînante Marche de Radetzky que se termine l’opérette, que l’orchestre, les chœurs et les solistes interprètent avec un plaisir communicatif jusque quatre fois pour saluer le public qui, inévitablement, applaudit en rythme avec entrain.