Mozart version cabaret viennois : L'Enlèvement au Sérail à Clermont-Ferrand
Donné en primeur à Clermont-Ferrand, L'Enlèvement au sérail revisité par Emmanuelle Cordoliani constitue un bon exemple de collaboration entre plusieurs théâtres lyriques. Les décors d'Émilie Roy, qui jouent de clins d’œil au Jugendstil et à l'esthétique Sécession, en particulier dans les affiches et les polices de caractère, sont réalisés par Reims et Rouen (réservez ici vos places dès 13 € pour y voir ce spectacle), tandis qu'Avignon s'est chargé des costumes imaginés par Julie Scobeltzine, à mi-chemin entre le cabaret et le Hollywood de l'Entre-deux-guerres.
L'adaptation ne se limite pas au visuel, au demeurant agréablement mis en valeur dans les lumières réglées par Pierre Daubigny, avec des teintes parfois entre la sérénade et le nocturne. Le livret originel, de Johann Gottlieb Stephanie, est très sensiblement remanié, et pas seulement pour coïncider avec les nouvelles réalités du Sérail devenu cabaret viennois. Certes, la composition cosmopolite se trouve déjà dans le texte du dix-huitième siècle, mais elle se traduit ici également dans les parties parlées qui ne se contentent pas de l'allemand. Selim ou Pedrillo s'expriment souvent en espagnol, quand Blondchen se laisse parfois aller à l'italien de l'interprète, que reprendra parfois également le Pacha, au moment de citer, dans un long monologue où il relate les mésaventures de son père et déplore son infortune amoureuse avec Konstanze, l'air du somnambulisme de Lady Macbeth dans l'opéra de Verdi – « tous les parfums d'Arabie ne pourraient enlever ce sang sur cette main ». Car les dialogues ne se limitent pas au premier degré des péripéties : ils élaborent un puzzle de réflexions et d'échos poétiques, empruntant particulièrement à la tradition soufi – qui sera entendue une fois, déclamée en farsi.
Cette mosaïque ludique, qui n'hésite pas à faire de l’œil au spectateur, pourrait n'être que stimulante si elle ne freinait pas la fluidité de la musique de Mozart, contrariée par une lenteur théâtrale qui privilégie sans doute l'intelligibilité de la diction, démentant passablement les intentions festives déclarées par la metteur en scène, suggérée par la profusion des moyens et les mouvements chorégraphiés par Victor Duclos. De fait, les numéros musicaux prennent plus d'une fois l'allure d’îlots disséminés dans une pièce où les notes n'ont pas toujours la préséance.
La modestie de la fosse n'est peut-être pas étrangère à cette impression. À la tête de l'Orchestre d'Auvergne, Roberto Forès-Veses favorise la vitalité du dessin rythmique, plutôt que la sensualité mélodique, opposant la réactivité aérienne des percussions et des textures diététiques, en particulier aux cordes.
Le plateau vocal permet d'applaudir deux lauréats de la dernière édition du Concours international de chant de Clermont-Ferrand, bisannuel, qui s'est tenu l'an dernier en 2017. Katharine Dain esquisse une Konstanze au timbre charnu, qui investirait davantage la crédibilité de son personnage dans un autre contexte, plus favorable à un portrait psychologique où la mélancolie de « Traurigkeit » et la vaillance de « Martern aller Arten » devraient sonner comme deux faces complémentaires. Les ressources de la voix n'en restent pas moins prometteuses, et recèlent des couleurs qu'il fait bon d'entendre dans l'héroïne mozartienne. Le Pedrillo joyeux drille de César Arrieta, qui tarde à trouver un air à se mettre sous la dent, finit quant à lui par se laisser prendre au piège de l'étirement du tempo au troisième acte, fragilisant quelques attaques et la ligne vocale. Applaudissons cependant une sympathique fougue pour ce qui est la première incarnation comique de sa carrière.
L'éclat du Belmonte de Blaise Rantoanina s'épanouit plus librement, avec une émission solaire conjuguée à la légèreté commandée par le rôle. L'assurance ne se limite pas à l'éclat des aigus, et s'entend sur toute la longueur d'une tessiture à l'évidence taillée pour le rôle. Elisa Cenni affirme une Blondchen piquante et virtuose. Douée d'un appréciable sens de l'effet, elle rivalise d'abattage dans les poses que lui fait prendre la mise en scène. Une certaine dimension pataude laisse cependant plus réservé sur l'Osmin de Nils Gustén, certes solide et intègre, quoiqu'un peu terne. Stéphane Mercoyrol assume un Selim nettement plus présent et complexe que de coutume, nonobstant une déclamation ça et là un peu plus emphatique que nécessaire – à sa décharge, il s'agit de noter l'absence de sonorisation pour le parlé, bienfaisante initiative que l'on ne pourra que saluer, au-delà des inévitables risques qu'elle impose. Préparé par Isabelle Auvinet, le Jeune Chœur d'Auvergne se glisse dans l'enthousiasme de la production, auquel répond avec chaleur le public clermontois.