Franco Fagioli enregistre les arias italiennes de Haendel
“Agitato da fiere tempeste" d'Oreste : le premier morceau donne d'emblée le ton d'un album virtuose et maîtrisé jusque dans les tempêtes vocales et instrumentales. Les rythmes presto seront pleinement nourris par les instrumentistes, allégés même dans des accents dansants qui soulèvent la voix et l'enthousiasme. Le chant du contre-ténor Franco Fagioli est au diapason de cette alacrité, extrêmement déliée et articulée mais qui n'empêche pas de soutenir un propos, de narrer un drame.
Rares sont les artistes à l'aise dans plusieurs registres, et notamment les interprètes de musique ancienne qui s'épanouissent dans différents tempi. C'est le cas de Fagioli et Il Pomo d’Oro qui savent déployer d'amples lignes dès la seconde piste, le récitatif de Serse menant à “Ombra mai fu” sur un souffle étendu. L'apaisement est délicieux, d'autant plus après la virtuosité et avant le drame enfiévré de “Crude furie degl’orridi abissi”, toujours dans Serse : le rapprochement des deux airs fait ainsi basculer immédiatement Xerxès le roi de Perse depuis l'amour béat vers la rage de l'amant perdu.
Que cet air projette le chant, en quelques mesures, depuis le suraigu jusqu'en un grave souterrain, ou que le tempo s'alanguisse, la voix continue de porter harmonieusement ses ornements à travers son ambitus. Les graves masculins sont caverneux et les sommets de la tessiture feraient assurément pâlir plus d'une femme (chanteuse comme admiratrice) : la notion d'exercice virtuose et le temps se suspendent dans les cadences finales, le chanteur héroïque convoquant même un sommet digne de la technique la plus aiguë chez les divas, dite "voix de sifflet".
Le seul reproche véritable qui puisse être adressé à cet album balayant autant de personnages, d'opus et de passions, serait dès lors un trop-plein d'expressivité (et donc, certes, de qualité). L'auditeur devra assurément reprendre son souffle, admiratif et exsangue après seulement 4 pistes, sur les 14 que compte un album en forme de montagnes russes, qui enchaîne ainsi trois décennies créatrices avec d'ailleurs un double grand écart : Serse (1738) est immédiatement suivi par Rinaldo de 1711, soit le plus ancien opus de l'album, lui-même immédiatement suivi par le plus tardif : Imeneo de 1740.
Ce catalogue des opus et du génie Haendelien est aussi celui des phrases vocales, immensément variées pour Rinaldo avec “Cara sposa, amante cara” changeant en cours de morceau, avant “Venti, turbini, prestate” et son dialogue avec les instruments (dans ce schéma baroque aussi fameux qu'efficace qui mène le dialogue vers un duel de virtuoses). L'humeur sait alors s'alanguir (“Se potessero i sospir miei” d'Imeneo), les registres changent avec certitude, illustrant le clair obscur entre "sento" et "brillar", allégeant ses vocalises en sauts d’intervalles, soufflets et trilles de rossignol pour mieux accentuer des contre-temps et lignes obstinées (marquant notamment Ariodante).
“Ch’io parta?” demande Arsace sur la dernière piste de ce disque publié par Deutsche Grammophon. En effet, hélas, Fagioli "doit partir" et refermer un album qui mérite pleinement le qualificatif de "récital discographique". L'auditeur pourra alors se tourner vers le spectateur (et nos comptes-rendus) des concerts donnés par Fagioli, chacun lui confirmera combien le chanteur dispense aisément les mêmes talents sur scène : ils sont à retrouver très prochainement à Versailles (réservations) !