Le couple Moulin à Lieder au Goethe Institut
Le programme a été spécifiquement construit pour mettre à cinq reprises en regard deux Lieder de Richard Strauss avec deux Lieder d'un compositeur l'ayant inspiré ou bien par lui inspiré. Il sont ainsi interprétés par groupes de quatre, se répondant parfois grâce à des mots, des thèmes poétiques ou musicaux, voire formant un mini-cycle unissant deux artistes.
Ces cinq rencontres permettent d'apprécier les liens formels entretenus par la musique de Strauss et celle de son aîné Johannes Brahms, ou la haute sensibilité partagée avec Hugo Wolf son contemporain. Par leur rapprochement, Strauss souligne également son souci d'une vocalité recherchée, commun avec son puîné de sept ans Alexander von Zemlinsky (le compositeur du Cercle de craie, du Nain ou encore d'Une tragédie florentine), ainsi que la beauté des mélodies de la génération suivante (Alban Berg) et encore celle d'après (Erich Wolfgang Korngold).
Le chant est d'emblée émouvant, inspiré et expirant avec un soutien filé tendrement résonnant. Bientôt, la voix se déploie, depuis le piano jusqu'au fortissimo très projeté en un seul souffle fourni (lorsque la colonne d'air et la voix se tendent, c'est par un effet volontaire intensifiant la fin d'une strophe et d'un espoir). Mais ce souffle est en outre porté par une qualité cardinale dans ce lieu de concert, épicentre germanophone parisien : l'articulation et la prononciation de la langue de Goethe sont au service d'une incarnation des paroles. La "dunkle Nacht" est une sombre nuit vocale, Träumerin une rêverie, die Rose est éclose vocalement, jusqu'en la sel'gen Liebe, béatitude amoureuse.
Conservant indubitablement ses moments de poésie et son inspiration au fil du programme, la chanteuse monte cependant en intensité, jusqu'à surarticuler et déployer des gestes grandiloquents. Portée par ses mouvements balayant l'espace, elle fait tourbillonner sa robe mais aussi une voix menée jusqu'aux frontières de la justesse et du son agréable. D'autant qu'un vibrato très ample l'écarte alors des notes pivots tandis que le timbre s'acidifie, mais certes peu et peu souvent.
Les mains du pianiste elles aussi parlent couramment allemand. Ses doigts arpentent le clavier avec légèreté, mais ils peuvent aussi continuer de vibrer après avoir enfoncé les touches intensément. Sachant accompagner le chant en offrant à la soprano un rythme d'une grande justesse, Grégory Moulin ne va jamais ni trop vite, ni trop fort. Le pianiste ayant pris la parole pour présenter les morceaux, mais aussi pour prier avec beaucoup de délicatesse le public de n'applaudir qu'à l'issue des groupes de quatre mélodies, la poésie de cette soirée prend le temps de s'installer jusqu'aux bravi et applaudissements d'un public enchanté par la Deutsche Qualität.