Joyeux Mousquetaires au couvent à l’Opéra Confluence d’Avignon
Depuis la fin du mois dernier, l’Opéra Grand Avignon se refait une beauté et a installé ses quartiers dans le théâtre éphémère nommé Opéra Confluence, en face de la gare TGV. Pour cette période des fêtes de fin d’année, il est évidemment de bon ton de proposer un spectacle léger : l’opérette Les Mousquetaires au couvent de Louis Varney (1844-1908).
Créée le 16 mars 1880 aux Bouffes-Parisiens, le livret des Mousquetaires au couvent, rédigé par Paul Ferrier et Jules Prével, s’inspire du vaudeville de Saint-Hilaire et Dupont, L’Habit ne fait pas le moine : le mousquetaire Gontran, aidé de son ami Brissac et de l’abbé Bridaine, décide d’enlever la jeune Marie, nièce du gouverneur dont il est follement amoureux, pensionnaire au couvent des Ursulines. Ils s’introduisent alors dans le couvent en se faisant passer pour deux pèlerins dont ils ont volé la soutane. Après quelques péripéties comiques, il apparaît que les deux moines détroussés étaient en fait de dangereux assassins : l’aventure scandaleuse des deux mousquetaires devient alors un acte de bravoure récompensé par le mariage.
La professeure de chant et metteur en scène Valérie Marestin transpose le contexte dans une époque « moins lointaine », où une jeune fille s’identifierait plus aisément à l’héroïne : au revoir vieux XVIIe siècle, bonjour les années 30 ! Les mousquetaires deviennent chasseurs alpins, le couvent est désormais un pensionnat et l’ordre de prendre le voile devient celui d’un mariage arrangé. Si les dialogues parlés sont modifiés pour garder en cohérence entre le contexte et le discours des personnages, l’intrigue perd sans doute un peu en burlesque : la situation de mousquetaires dans un couvent paraît plus incongrue que des chasseurs alpins dans un pensionnat (cependant la situation ne manque pas d’amuser). Le postulat selon lequel « une jeune spectatrice s’identifierait bien plus à l’orpheline » dans un contexte d’entre-deux guerres, certes plus proche temporellement mais culturellement toujours éloigné, est également contestable.
Les décors d'Hervé Cherblanc sont simples, étudiés efficacement pour être optimisés dans le nouveau lieu, limité, de l’Opéra Confluence. Ses lumières changent subtilement les atmosphères selon les passages. La scénographie imaginée est toujours intéressante, occupant tout l’espace scénique de manière équilibrée et jamais statique. Outre les mouvements synchronisés des artistes du chœur, par exemple lors de l’air « Zon zon ! » de la serveuse Simone (acte I), le Ballet de l’Opéra Grand Avignon offre de belles prestations, particulièrement lors de l’ouverture et lors d’un interlude du Ier acte.
Les Mousquetaires au couvent nécessite des chanteurs de qualités qui savent aussi s’exprimer avec autant d’aise en tant que comédiens, les parties parlées étant nombreuses et longues. Sauf quelques petits contretemps involontaires de réponses, qui montrent leur professionnalisme par leur parfait rattrapage, le plateau ne fait pas défaut de comédiens. Malheureusement, l’acoustique sèche du théâtre éphémère n'aide pas les chanteurs : la fosse manquant certainement de profondeur, l’orchestre est comme un gouffre pour les voix, malgré les efforts de nuances et d’équilibre des musiciens. La plupart des chanteurs sont alors difficilement compréhensibles, leur voix manquant de puissance.
Ce n’est toutefois pas le cas du truculent Narcisse de Brissac, interprété avec assurance par le baryton Frédéric Cornille. Il sait mettre à profit sa voix sonore et charmante, ainsi que son souffle bien maîtrisé, pour incarner avec malices son personnage épicurien. Il est certain que le baryton s’amuse dans son rôle, et cela conquiert le public qui s’en amuse aussi. Citons son amusant et très réussi prêche sur « l’Amûr » (l’amour) qui clôt joyeusement l’acte II.
Le mousquetaire amoureux Gontran est interprété par le ténor Antonio Figueroa. Sa prestance scénique est assurée, sa voix un rien nasale mais suffisamment projetée. Ses airs sont remplis d’expressivité, ce qui rend sans doute son accompagnement un peu difficile mais convaincant. La soprano Pauline Rouillard incarne la jeune Marie avec beaucoup de douceur, d’où un premier air fort poétique et expressif. Malgré un vibrato très serré, cette douceur empêche une puissance qui aurait été bienvenue par la suite. Sa sœur Louise, chantée par la mezzo-soprano Amaya Dominguez, est une pensionnaire énergique et espiègle, caractères mis en valeur par sa palette de timbres. Son chant pourrait toutefois gagner en maîtrise dans les passages plus rapides.
Simone, la serveuse du café, est assurée par Claire de Monteil, dont la fraîcheur est servie par une diction et une projection toutes deux très bonnes. L’abbé Bridaine dispose de la voix à la fois autoritaire et sympathique du baryton Franck Leguérinel. Son rôle fait surtout entendre ses talents d’excellent comédien plus que ceux de chanteur, si ce n’est lors de son air applaudi de l’acte I où il se présente. La Mère Supérieure de Maryse Castets est rayonnante et la drôlerie de son jeu est toujours appréciable.
Le chœur est homogène mais trop souvent incompréhensible, particulièrement les hommes. Néanmoins, on apprécie les couleurs de la prière quasi a capella de l’acte I. L’orchestre régional Avignon-Provence est globalement un bon accompagnateur, malgré quelques légers petits décalages bien vite rattrapés, surtout les basses et les cuivres qui semblent traîner quelquefois, ou quelques démanchés hasardeux – mais discrets – de quelques violons. Sous la direction rigoureuse et vigilante de Dominique Trottein, les musiciens font sans aucun doute des efforts de couleurs mais ne semblent pas atteindre l’éclat que l’on souhaiterait à la légèreté du genre de l’opérette.
Avec un plaisir certain, les artistes saluent le public lors du final festif et dansant. Le chef, heureux, le fait répéter quatre fois, invitant les spectateurs enjoués à frapper des mains.