« Car en ce jour, notre désir est comblé » : l’éclatant oratorio de Bach à l’Arsenal de Metz
C’est un concert d’applaudissements nourris qui accueille Christoph Prégardien et l’ensemble du plateau vocal et musical. Pour accompagner Le Concert Lorrain, les solistes et le Chœur de Chambre de Dresde, le choix s’est porté sur le Chœur spécialisé des élèves du Conservatoire de Metz-Métropole. Les jeunes chanteurs sont tout autant impressionnés par le public nombreux et la virtuosité de leurs modèles adultes qu’à l’aise dans leurs développements.
Sont à l’écoute les cantates I, IV, V et VI, soit la naissance de Jésus, la circoncision du Christ, le premier dimanche de l’année et l’Épiphanie. La gloire et la félicité du texte de la première cantate s’accordent avec la puissance du chœur adulte. Les voix chorales féminines semblent légèrement plus assurées et ancrées que les voix masculines, impression qui disparaît très vite par la suite, tant la cohésion et l’affinité des différentes composantes sont ensuite évidentes jusqu’aux dernières mesures. Le premier récitatif sec (avec un accompagnement réduit) du ténor Markus Schäfer, « Es begab sich aber zu der Zeit… » (En ce temps-là [parut un édit de l’empereur]), impressionne par la chaleur et la richesse de son timbre, et par la prise en compte du texte dans la gestuelle du chanteur.
Pour le récitatif « Nun wird mein liebster Bräutigam » (Voici que mon fiancé bien-aimé), l’alto Margot Oitzinger déploie des aigus limpides. Le chœur des enfants, sans partition pour le choral « Wie soll ich dich empfangen » (Comment dois-je te recevoir) de cette première cantate, saisit parfaitement les enjeux textuels. Empruntes de douceur au commencement, les voix se renforcent lorsque les phrases sont exclamatives, et le résultat, extrêmement précis dans l’articulation, témoigne de la force de travail des jeunes chanteurs et de leurs cheffes de chœur.
Même sentiment, amplifié, d’analyse et de perception fine du texte dans la voix de basse de Peter Kooij, capable d’agréger l’articulation pointue, la puissance des graves et la dimension physique du chant par de gracieux mouvements du corps, qui se penche, oscille, voyage au gré du texte.
Cette osmose se poursuit par effet de ricochets sur les instruments et les voix. Cors et chœurs se complètent, sans empiéter les uns sur les autres pour le début de la quatrième cantate, « Fallt mit Danken, fallt mit Loben » (Prosternez-vous avec gratitude, prosternez-vous avec louanges).
Pendant chaque partie précédant son chant, la soprano Joanne Lunn suit attentivement le texte sur sa partition. Elle le récite en silence et imprime à son visage un sourire radieux dont elle ne se départ jamais. Pour l’air « Flösst, mein Heiland » (Mon Sauveur), la symbiose est telle entre sa voix et le chant du hautbois que le public ne distingue plus l’humain de l’instrument. Comme s’il était possible d’améliorer ce qui tient déjà de la perfection, l’écho du hautbois sur le simple « Ja » final est lui-même suivi de l’écho de la soprano du Dresdner Kammerchor, Katharina Salden, pour un instant soliste, qui s’est éclipsée du chœur et s’est cachée dans les hauteurs de la Grande Salle, dont l’extraordinaire acoustique amplifie la finesse de ce deuxième écho.
Le public prend sur lui pour ne pas céder à l’envie d’applaudir avant l’entracte. Pour la cinquième cantate, Margot Oitzinger conserve l’articulation soignée qui la caractérise et tient avec force et délicatesse ses aigus sur le dernier « sein » (être) du chœur et récitatif « Wo ist der neugeborne König der Jüden ? » (Où est le roi des Juifs qui vient de naître ?)
Basson, hautbois et voix de basse de Peter Kooij transmettent à nouveau la symbiose des chants instrumental et humain sur l’air « Erleucht auch meine finstre Sinnen » (Éclaire aussi mes sombres pensées). Markus Schäfer transcrit la peur du roi Hérode dans le court récitatif sec suivant en intensifiant son timbre et décomposant chaque syllabe du verbe « erschrak » (effraya).
La conclusion de la représentation autour de la sixième cantate fait relever aux chœurs le défi d’un tempo légèrement accéléré sur « Herr, wenn die stolzen Feinde schnauben » (Seigneur, lorsque nos ennemis orgueilleux enragent), obstacle que les chanteurs dépassent sans la moindre difficulté.
Joanne Lunn revient illuminer la scène pour le récitatif « Du Falscher, suche nur den Herrn zu fällen » (Traître, qui cherche à terrasser le Seigneur), et le ravissement du public se poursuit. La fureur du texte, qui interpelle et dénonce Hérode, est décuplée par la ferveur authentique et bouleversante de la soprano, toujours limpide. Les voyelles aiguës sont chargées de sens et véhiculent le courroux, les « r » roulent dans un torrent de colère. Aussi à l’aise dans les récitatifs que dans les airs, Markus Schäfer décloisonne chaque syllabe de l’air « Nun mögt ihr stolzen Feinde schrecken » (Tremblez d’effroi, ennemis orgueilleux) et présente l’essence de chaque mot par son timbre, doux pour le « précieux » (Schatz), intense pour « stolzen » (orgueilleux).
Le choral final « Nun seid ihr wohl gerochen » (Vous êtes à présent vengés) est l’énième preuve, si besoin était, que l’attention de Christoph Prégardien est portée sur chacun et chacune, musiciens, solistes, jeunes chanteurs en devenir et chœur assuré. C’est une harmonie au sens grec du terme, celui de l’union, de l’agrément, de l’unisson, que le public rend au centuple, dans une déferlante assourdissante de bravi, à chaque extraordinaire composante de cette représentation.