Exaltant Oratorio de Noël à la Philharmonie de Paris
Les six cantates composant l’Oratorio de Noël de Jean-Sébastien Bach, écrites en 1734, sont destinées à être jouées les six jours des fêtes de Noël (les 25, 26, 27 décembre et les 1er, 2 et 6 janvier). Elles sont fondées sur une même trame narrative. Sur les six cantates écrites par Bach, le chef d'orchestre Marc Minkowski en retient quatre, lesquelles narrent respectivement la naissance de Jésus (I), l’annonce aux bergers (II), le baptême de Jésus (IV) et l’adoration des rois mages (VI). Elles sont interprétées par les Musiciens du Louvre, auxquels se joignent sept solistes : Lenneke Ruiten (soprano), Hélène Walter (soprano), Christopher Ainslie (contre-ténor), Helena Rasker (alto), Paul Schweinester (ténor), Valerio Contaldo (ténor) et James Platt (basse).
Exaltant. Tel est effectivement le terme le plus adéquat pour caractériser ce concert au cours duquel Marc Minkowski s’empare de l’Oratorio de Noël. Cette appropriation transparaît sur son visage et sa conduite. Des premières mesures du chœur introductif de la cantate "Jauchzet, frohlocket! Auf, preiset die Tage" (« Jubilez, chantez d’allégresse ! Louez ces jours ») jusqu'à l’air final concluant la sixième cantate "Nun seid ihr wohl gerochen" (« Maintenant vous êtes bien vengés »), une puissante énergie meut le chef d’orchestre, lequel conduit parfois ses musiciens par d’amples mouvements de bras, les mains agitées, ou se met à marquer par un léger mouvement chaque temps joué par le continuo dans des rythmes soutenus. Les Musiciens du Louvre, accordés au diapason baroque, le regardent et lui répondent avec une adéquate justesse selon les dynamiques de chaque morceau.
À moitié plongé dans l’obscurité, le public est immédiatement saisi, dès les premières mesures, par l’homogénéité des voix composant le chœur. Trois sopranos, trois altos, trois ténors et deux basses se partagent les différentes lignes mélodiques. Or, celles-ci s’accordent avec une heureuse justesse. L’auditeur est enthousiaste à la fois par les différentes lignes qui se répondent avec précision dans des formes fuguées comme dans le choral introduisant la quatrième cantate "Herr, wenn die stolzen Feinde schnauben" (« Seigneur, quand nos ennemis orgueilleux enragent ») que par la puissance qui se dégage du chœur, lorsque celui-ci chante des notes en homorythmie (même rythme). Dans ce dernier cas, l’effort de prononciation est notable, et il est heureux d’entendre une dizaine de voix aux timbres si différents conclure leur période par une même syllabe clairement détachée, comme dans le premier chœur de la première cantate "Jauchzet, frohlocket! Auf, preiset die Tage" (« Jubilez, chantez d’allégresse ! Louez ces jours »).
L’Oratorio de Noël est avant tout un récit : l’histoire est merveilleusement contée par Paul Schweinester, dont le rôle d’Evangéliste sied à la perfection. Par une diction des plus remarquables, le ténor fait résonner dans la salle entière la poésie de l’allemand de Luther dans des recitativi secci ou accompanati (récits plus ou moins richement accompagnés). Les inflexions de sa voix suivent la dramaturgie de l’histoire. Détaché de son livret, il balaye des yeux la salle, semble se faire le conteur d’une histoire sacrée dont il sublime le sens par une voix d’une grande délicatesse. Au-delà du rôle de l’Evangéliste, pour lequel la rythmique est assez souple, le ténor fait ses preuves dans l’air « Nun mögt ihr stolzen Feinde schrecken » (« Maintenant, ennemis arrogants, vous pouvez trembler ») au cours duquel il déploie, au-dessus d’un continuo plus rythmé et dynamique, d’heureuses vocalises avec un timbre clair.
Malgré la grande virtuosité avec laquelle Valerio Contaldo, deuxième ténor soliste de la soirée, déploie ses vocalises, celui-ci semble parfois en difficulté. Peu s’en faut que les notes composant les vocalises les plus rapides soient aspirées. Toutefois, le ténor se maintient en place, aussi bien rythmiquement que mélodiquement. Accompagné par des pizzicati aux violoncelles et à contrebasse dans l’air "Frohe Hirten, eilt, ach eilet", extrait de la quatrième cantate, et dialoguant avec le son de la flûte, il fait entendre une voix nuancée aux aigus chatoyants.
Cette cantate convoque également le contre-ténor Christopher Ainslie dans l’air pour alto "Bereite dich, Zion, mit zärtlichen Trieben" (« Prépare-toi, Sion, avec de tendres efforts »). Tout en se balançant légèrement selon les inflexions du continuo, le chanteur laisse percevoir une belle virtuosité dans la voix, faisant de son discours une unité très expressive. L’énonciation se fait avec aisance, et ce davantage encore lors de la reprise. Les aigus, brillants, résonnent avec clarté dans l’ensemble de la salle de concert. Son répondant féminin, l’alto Helena Rasker, se fait entendre comme soliste dans un unique air "Schlafe, mein Liebster, genieße der Ruh" (« Dors, mon chéri, jouis de ton repos »). S’agissant d’une berceuse, la voix de l’alto est assez ténue. La première note, tenue et attaquée piano, se répand comme une onde dans la salle, en une vibration apaisante. Sans pousser la voix, l’alto propose un beau moment de poésie. Toutefois, elle est parfois si discrète qu’elle peine à s’émanciper de l’orchestre, dont les nappes sonores viennent ensevelir la mélodie sous de rondes harmonies.
Les sopranos Lenneke Ruiten et Hélène Walter offrent une prestation complémentaire. La première fait entendre une certaine aisance dans l’expression. Les aigus sont légers, aériens. Dans l’air "Flößt, mein Heiland, flößt dein Namen" (« Inspire-t-il, mon Sauveur, inspire-t-il, ton nom »), elle engage un trio avec le hautbois et sa comparse Hélène Walter, disparaissant quelques instants de la scène pour chanter l’écho. Dès lors, parfois à nu, les voix singulières s’élancent et se répondent, sur la base de sauts de quartes et de quintes. Le public assiste en outre à un duo émouvant entre la soprano Hélène Walter, dont la grâce sur scène répond à une voix d'un timbre clair, et la basse James Platt ("Jesu, meine Freud und Wonne", « Jésus, ma joie et mon plaisir »). Le drame qui se joue dans l’air se perçoit par les oreilles et les yeux, les deux voix s’entremêlant et les deux visages exprimant une solennité profonde.
Enfin, la basse James Platt soutient pleinement l’ensemble du groupe par une voix puissamment timbrée. Dans l’air "Großer Herr, o starker König" (« Grand Seigneur, ô roi tout puissant »), la basse mobilise une belle énergie pour faire entendre une voix boisée, dont les graves, moelleux, deviennent plus saillants à mesure que le chanteur monte dans les médiums. Cette énergie est d’autant plus perceptible lors de la reprise, où la basse est assurément plus à l’aise sur le devant de la scène.
Les trompettes et les timbales retentissent. « Désormais, c’est auprès de Dieu qu’est la place des hommes » annonce le chœur à la fin de l’Oratorio dans une ferveur intarissable. Le public répond alors au sourire de Marc Minkowski par des bravi chaleureux.