Les chants de Noël de langue allemande célébrés au Collège des Bernardins
Sous les voutes arquées et au milieu des colonnes sur lesquelles serpentent des guirlandes de Noël, la scène est légèrement surélevée. Derrière elle, des étoiles sont projetées, accompagnées d’une lumière chaude, teintée de bleu, de vert ou d’orange. Le public est convié à écouter, le temps d’une soirée, une pluralité de chants de Noël écrits par des compositeurs allemands et en langue allemande. Les œuvres traditionnelles du patrimoine germanique en côtoient d’autres à la portée plus universelle, tel "Stille Nacht" (« Douce Nuit »).
Puisqu’il s’agit de mettre en valeur des compositions autour d’« un Noël allemand », le chef d’orchestre Léo Warynski justifie au début du spectacle la programmation du concert, et, chose rare, présente de manière systématique les œuvres que l’auditeur va écouter. Il se propose de présenter un panorama des compositions sur Noël d’inspiration germanique, tout en mettant l’accent sur les chants populaires, qui nourrissent la tradition de Noël en Allemagne. Le concert est structuré en deux parties. Si la première se concentre autour d'opus de Mendelssohn, de Brahms ou de Distler, la seconde se compose d’airs disparates de compositeurs variés (Kaminski, Lang, Schicha, Reger etc.). Au fil du concert, l’ensemble Les Métaboles, exclusivement a cappella, fait entendre des chants aux atmosphères variées, du profond recueillement religieux à la joie provoquée par des métamorphoses clownesques. Les inspirations sont variées, aussi le public est-il convié à écouter des harmonies classiques, romantiques, médiévales (les motets d’Hugo Distler), mais aussi inspirées du jazz (notamment lors du "Ô Tannenbaum" : Mon beau sapin, revisité par Brice Légée).
Dès les premiers chants, le chœur, composé de trois sopranos, alti, ténors, et de deux basses, laisse percevoir une heureuse cohésion d’ensemble. Les voix sont claires, distinctes, et leur timbre module selon les nuances des morceaux. Ainsi la légèreté des voix introduisant piano le quatrième Marienlieder Op. 22 de Brahms cède-t-elle progressivement la place à quelque chose de plus saillant. Il y a une certaine beauté dans l’interprétation de certaines œuvres, où la sobriété et la rigueur rythmique sont de mise. Les chanteurs ne s’adonnent dès lors pas à un rubato (liberté rythmique) exacerbé, mais respectent avec précision la valeur rythmique des notes. L’effet est d’autant plus réussi dans les chants comme "Schlaf wohl du Himmelsknabe" de Reger où l’homorythmie (rythme synchrone) entre les voix est flagrante. Dans le chant "Zum Abendsegen Herr, sei gnädig", construit dans une forme fuguée, les différentes tessitures font entendre des entrées réussies. L’homorythmie de la forme chorale cédant la place à une plus grande polyphonie, les différentes voix des Métaboles s’échangent les sujets avec un heureux équilibre. À cela s’ajoute une diction travaillée. En allemand, d’abord, puis en français (« La Légende de Saint-Nicolas »), les Métaboles font part d’une belle élocution, chaque mot adéquatement posé et résonnant dans sa poésie.
Il est intéressant que la programmation ait permis la mise en valeur de chacune des tessitures. Ainsi, dans une partie du premier motet de Kaminski, les sopranos et les alti chantent en duo, flattant l’oreille d’un contrepoint aérien des plus légers. Ces mêmes alti sont également mises en avant dans le chant "Leise rieselt der Schnee" de Vic Nees, où leur voix s’élèvent magnifiquement au-dessus de nappes sonores. Considéré ensemble, ce chœur laisse percevoir une belle sensibilité aux nuances. Du pianissimo aux forte, il forme un tout homogène, et les piano subito sont heureusement attaqués. Léo Warynski accompagne avec allégresse le développement du discours musical par des mouvements amples et contrôlés. Son implication et son énergie sont notables, et ce dernier chante parfois presque avec les artistes, dans un crescendo dramatique.
Les silences, simples respirations ou coupures méditatives, sont un élément marquant de la soirée, que ce soit dans les Sprüche de Mendelssohn ou dans les motets d’Hugo Distler. Ces moments tus font en effet partie intégrante de l’écriture du choral. Or, ils sont bien amenés. Lors d’un instant, toutes les voix se taisent, le silence se fait sous les voûtes du Collège. Puis le chef, par un léger mouvement invocatoire, invite le chœur à poursuivre son chemin, et tous le rejoignent de concert.
La deuxième partie, plus éclectique, donne l’occasion de faire découvrir au public des airs moins connus du répertoire et de mettre l’accent sur des chants populaires. Ainsi Léo Warynski convie-t-il notamment dans le même temps trois magnifiques motets du compositeur méconnu Heinrich Kaminski, un air de Reger et « La Légende de Saint-Nicolas » de Bernard Lallement, Saint-Nicolas étant, encore aujourd'hui, largement célébré en Allemagne. L’ambiance est progressivement plus décontractée, le contrepoint de Kaminski laissant peu à peu la place à des chants populaires ("Die Heiling’ drei König" de Hans Lang) et au monde de l’enfance avec Saint-Nicolas. Au sujet de la légende de ce dernier, le chœur en propose une interprétation savoureuse. Lors du dialogue théâtral entre le boucher (ténor) et Saint-Nicolas (basse), le public est animé d’un sourire. De même, il se retrouve en enfance comme par enchantement en écoutant le refrain « Ils étaient trois petits enfants/Qui s’en allaient glaner aux champs ».
C’est toutefois le Tannenbaum de Brice Légée, fruit d’une commande du chef d’orchestre, qui surprend assurément le public. La métabole étant une transformation, une métamorphose, elle s’empare du chant de Noël "Mon beau sapin, roi des forêts. Que j'aime ta verdure", pour en proposer plusieurs variations délirantes et très inventives. Sur les rires festifs du public, le chœur passe du choral classique au jazz des années 1950, avec un détour par la pop. Les soprani et les alti émettent de longs glissandi dans les aigus, un ténor se met à chanter comme s’il était à Broadway. Les voix se déforment, alternent et s’altèrent jusqu'à l’accord final, précédant de chaleureux applaudissements du public.
À la demande du chef, tout le monde est convié à se joindre au chœur à chaque fin de partie. Dès lors, dans un moment de grande convivialité et de communion, résonne, dans un premier temps, un célèbre hymne allemand, harmonisé par Michael Praetorius, et qui donne son nom à la soirée : „Es ist ein Ros entsprungen“ (« Une rose a poussé »). D’abord en allemand, puis en français, l’hymne résonne en un unisson juste, plein de ferveur, sous la conduite bienveillante du chef. À la fin de la deuxième partie, c’est le chant "Stille Nacht" (Douce nuit) qui est célébré dans les deux langues. Le public s’allie dès lors au chœur pour clôturer le concert dans un beau moment de poésie.