Stéphane Degout à la Monnaie de Bruxelles, récital sensible et puissant
Difficile exercice que celui du récital, initiatique et surtout introspectif. Seule voix sur scène, accompagné de Simon Lepper au piano, c’est une ode aux sentiments romantiques français et allemands qu'offre le duo. Présentées en triptyque, les mélodies françaises de Fauré, les Lieder de Brahms et Schumann trouvent un interprète de choix : entre le voyage intérieur et la narration des sentiments enfouis, le romantisme se dessine ici en gravité, sensible et honnête.
Ouverture sur les mélodies françaises de Gabriel Fauré, « Aurore » et « Automne », des poèmes d’Armand Silvestre, ainsi que « Poèmes d’un jour » de Charles Grandmougin. Les notes de Simon Lepper sont veloutées, impressionnantes de finesse et légèreté. L’histoire commence et « Aurore » pose le décor d’un songe presque oublié dans une nature protectrice et maternelle. Peu à peu le décor se dissipe laissant place aux sentiments plus profonds encore. Stéphane Degout rend à la musique sa vérité suffisante. Pas de grimace, déformations mimant la tristesse, la voix suffit et construit un organisme complexe d’expressivité, simple et clairvoyant où les images fleurissent d’un naturel charmeur. La diction française du baryton est d’une prosodie complexe et maîtrisée, presque théâtrale.
Stéphane Degout se prête à l’exercice névrotique de changer d’enveloppe à chaque Lied. Pour Johannes Brahms, l’amour est fait de doute, solitaire et cruel. « Die Mainacht » est d’une intensité lyrique peu commune et l’incarnation efficace, bâtie sur les graves. Les pleurs d’hommes sont rares et intimes : habituellement interprété par des sopranos, « Die Mainacht » berce l’auditoire d’un sanglot solitaire, et ne peut laisser indemne qui l’entend. Avec « Nicht mehr zu dir zu gehen » la voix en accord avec les graves du clavier progresse peu à peu vers la colère et les notes tempérées de velours, saillantes pourtant. La voix et la diction du chanteur semblent être destinées à cet allemand incisif, précis, soufflé et si vite aspiré. Stéphane Degout transfigure un personnage d’une belle sincérité, noble, épris de l’amour et de la nostalgie elle-même.
Enfin viennent Robert Schumann et son « Zwölf Gedichte » tiré des textes de Justinus Kerner, un feuillet de douze créations sublimes et vivaces, héritage fidèle d’une musique allemande entêtante, notamment avec sa marche « Wanderlied », mais aussi des compositions de pure quiétude ou la consolation des âmes renaît au printemps, comme « Erstes Grün ».
on aurait tort de croire que la forme poétique est indifférente ; la forme musicale la complète heureusement, voilà tout. L’essentiel est de comprendre son poète, de le sentir. ” Fauré
Fidèle aux mots de Fauré, Stéphane Degout livre une interprétation résolument humaine, complexe et tiraillée. Une ode à la vie passée, balancée entre un clavier tempéré, chaud et sensible, et la voix d’un baryton dont les libertés ne trouvent point de limite.