L'Elektra de Nina Stemme enflamme la Philharmonie
Un raz de marée d’applaudissements et d’ovations a comme submergé durant de longues minutes la salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris à l’issue de cette représentation concertante d’Elektra de Richard Strauss, en ce soir du 15 décembre 2017. Outre un trio féminin d’exception, ce concert aligne un plateau vocal qui aspire à donner le meilleur de lui-même.
Honneur au rôle-titre ! Nina Stemme s’est emparée
du rôle d’Elektra -c’est bien le terme fort qu’il convient
d’adopter- à l’Opéra de Vienne en 2015 et le reprend dès lors
régulièrement, tout en conservant à son répertoire les rôles
meurtriers -Isolde, les trois Brünnhilde, Fidelio- qui assoient sa
réputation. Au printemps 2017, elle ajoutait Kundry de Parsifal à
son actif toujours à Vienne dont, depuis 2012, elle est
Kammersängerin, récompense suprême attribuée aux artistes les
plus éminents. Elle interprétera de nouveau Kundry l’été
prochain au Bayrerische Staatsoper de Munich sous la baguette de
Kirill Petrenko auprès de Jonas Kaufmann et René Pape : un événement
qui ne passera pas inaperçu. Son interprétation d’Elektra,
même en version concert, montre la cantatrice comme en état second,
habitée au plus haut point, faisant vivre d’un geste son
personnage et lui insufflant une dimension émotionnelle qui cloue le
spectateur au fauteuil. Dès son air d’entrée « Allein !
Weh, ganz allein ! », la voix qui semble inépuisable se
déploie avec hauteur, large et dotée de coloris confondants, avec
cet aigu magistral et tranchant qui jamais ne faiblit. Bien plus, il s’affermit encore durant la scène de reconnaissance
d’Oreste ou lors du final. Nina Stemme ne semble même pas respirer
et se tient droite, en plein appui, durant tout le concert dont elle
sort comme renforcée, fraîche même, un comble compte-tenu
de la tension permanente qu’elle doit entretenir.
Nina Stemme en Elektra au Met durant la saison 2015-2016, dans la mise en scène de Patrice Chéreau :
Le grand moment de la soirée reste son affrontement avec Waltraud Meier, autrefois Isolde superbe, aujourd’hui Clytemnestre de premier plan dans un rôle travaillé avec Patrice Chéreau au Festival d’Aix-en-Provence en 2013. Si la voix ne possède pas tous les graves ici attendus, Waltraud Meier impose pour autant un personnage rongé par l’inquiétude et la peur, loin de certaines interprétations appuyant sur les effets et presque la caricature : l’aigu demeure encore confondant, vaillant, la voix assise. Ces deux immenses cantatrices s’opposent et se complètent parfaitement.
Waltraud Meier incarnant Isolde à La Scala en 2007 :
Gun-Brit Barkmin (Chrysothémis), (récemment Salomé au Verbier Festival et Marie de Wozzeck à l’Opéra Bastille), parvient heureusement à s’imposer auprès d’elles. La voix, sans posséder un timbre très attachant, assure la totalité du rôle avec de fort beaux élans et un aigu parfaitement projeté, une ampleur réelle. Il manque simplement à son incarnation comme une touche de féminité, voire de candeur pour pleinement convaincre.
Mathias Goerne impose un Oreste grave et déterminé, mais la voix au timbre un peu mat porte moins bien dans la salle. Par contre, Norbert Ernst, loin des Égisthe un rien pleurnichards entendus si souvent ou en fin de carrière, déploie une voix de ténor saine et en plénitude qui surprend positivement dans ce rôle si souvent sacrifié.
Le groupe des servantes touche aussi à l’excellence, dont il convient de détacher tout particulièrement la véritable contralto américaine Bonita Hyman, première servante et titulaire du rôle au Metropolitan Opéra de New York qui, dès sa première réplique, plonge intensément dans le drame. Très remarqué par ailleurs, le jeune serviteur interprété par Christophe Poncet de Solages, voix de ténor percutante et bien placée et Ugo Rabec, le percepteur d’Oreste, malgré la brièveté de son intervention.
Mikko Franck tire de magnifiques sonorités de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, mettant en valeur les pupitres centraux, donnant même à entendre des subtilités de la partition qui souvent échappent. Des baisses de tension apparaissent toutefois, notamment lors des parties intermédiaires du duo Elektra/Clytemnestre. Par contre, la scène finale se termine dans un paroxysme qui balaie les rares réserves.
Ce concert fera l’objet d’une diffusion sur France Musique le 11 février 2018 à 20 h. Il serait déraisonnable de ne pas l’écouter !