Remake des Contes d’Hoffmann à Dijon
Comme l’écrirait Magritte, ceci n’est pas Les Contes d’Hoffmann. Certes, tous les passages vocaux présentés ont été écrits par Offenbach, mais le metteur en scène Mikaël Serre s’est réapproprié le livret pour en réécrire l’histoire : l’intrigue met ici en scène une diva, Stella, dont le poète d’amant supporte mal la notoriété. L’agent Lindorf poussera le couple à la rupture. De même, le Directeur musical Nicolas Chesneau (à la battue fine, forte et précise) et Fabien Touchard en ont retravaillé la partition, l’arrangeant pour un ensemble de 11 instrumentistes, et y incorporant un environnement sonore, musique inspirée des bruits d’un flipper, afin que la partition ainsi créée soit en adéquation avec la noirceur du nouveau propos. Exemple des arrangements réalisés, le bal met en avant un violon jouant dans un style country et un piano. Il en ressort une œuvre condensée et efficace, donnée en deux heures sans entracte. Les airs s’enchaînent à un rythme rapide, de nombreux récitatifs et parties parlées ayant été coupés. De même, les reprises des airs n’ont pas été conservées, ce qui accélère le rythme de la pièce et préserve les voix des quatre solistes, particulièrement mises à contribution. Les parties comiques sont escamotées ou assombries : Olympia (qu’Hoffmann voit à travers des lunettes de réalité augmentée) n’est pas une poupée rigolote (elle pointe même une kalachnikov vers le public) et Franz (transformé en frère d’Antonia) n’est pas sourd, tout le dialogue avec Crespel (ici père violent et incestueux) étant coupé.
La principale originalité de cette scénographie (signée Nina Wetzel) est d’avoir placé l’ensemble instrumental en fond de scène, derrière un paravent de tulle : les chanteurs, placés devant, sont ainsi moins sollicités vocalement. Au gré des jeux de lumières (imaginés par Gilles Madras), les instrumentistes se laissent ainsi deviner ou se cachent aux yeux des spectateurs. Un grand canapé circulaire, une table de maquillage et des flippers (dont deux exemplaires sont mis à disposition du public dans le hall d’accueil) constituent les principaux éléments d’un décor nu, laissant l’imaginaire du spectateur et les projections vidéo créer les différents univers. Le discours est en effet illustré d’images inspirées de la culture pop et du jeu vidéo, et ponctué d’extraits d’interviews de Stella (Samantha Louis-Jean, à l’adorable accent en anglais), montrant son rapport à l’amour et à Hoffmann, et laissant apparaître avec un grand naturel les tensions rongeant le couple.
Les rôles principaux sont tenus par quatre jeunes chanteurs de talent, à la diction impeccable et aux voix toujours audibles pour leurs prises de rôles respectives. Le rôle-titre est interprété par Kévin Amiel, dont la voix, vaillante jusqu’aux dernières notes, dispose de l’éclat idoine pour sa partie. Ses beaux aigus tenus sont vibrés avec intensité : il les atteint par en-dessous dans une technique très prisée par Roberto Alagna. Ses médiums sont projetés de manière très directe, sans forcer. Sa chanson de Kleinzach est tout à fait réussie, aussi bien vocalement que théâtralement. Il manque simplement à son interprétation un rien de douceur et de lyrisme lorsqu’il se perd dans ses pensées. L’expérience gommera également les quelques fragilités de sa ligne vocale.
Samantha Louis-Jean en Stella relève le défi d’une interprétation des trois héroïnes de l’imaginaire d’Hoffmann (souvent interprétées par trois chanteuses différentes). En Olympia, sa voix large au timbre riche en harmoniques dispose d’un vibrato rond. Ses vocalises s’écoulent avec une fluidité dense et sirupeuse. En Antonia, son instrument est d’abord trop profond pour la femme fragile, malade et recroquevillée qu’elle incarne. Elle l’adoucit ensuite en allégeant sa projection, apportant une émotion et une fragilité bienvenues. Le problème est inverse dans le rôle de Giulietta, qui sollicite intensément le bas de la tessiture de soprano (le rôle est d’ailleurs souvent interprété par une mezzo-soprano) : l’ancrage y est alors trop haut et la voix se resserre. Samantha Louis-Jean étale en tout cas d’impressionnantes qualités de comédienne, nourries par une grande sensibilité. La dernière scène, meurtre glaçant ayant lieu dans un silence de mort, en est un bel exemple. Sept représentations sont prévues en dix jours : sa voix fatigant déjà à la fin de cette première, il faut espérer que l’enchaînement des performances sur ce triple rôle extrêmement lourd et exigeant n’entraîne pas une dégradation de la qualité de son chant.
Damien Pass (formidable dans Il Signor Bruschino à Massy la saison passée) incarne l’agent Lindorf et ses trois avatars maléfiques. La qualité de ses graves, à se damner, attire l’oreille dès sa première intervention : la beauté de la première phrase de son « Scintille diamant » en est même indécente, par sa clarté lumineuse et colorée, sans y perdre en profondeur et en largeur. Le potentiel est donc immense mais le chanteur devra encore élargir sa voix et stabiliser sa ligne de chant sur le reste de sa tessiture pour le réaliser pleinement (et bien entendu choisir des répertoires mettant ce registre en valeur !).
Marie Kalinine est la Muse et Nicklausse. Sa voix très intense au vibrato à la fois rapide et large, ainsi que la profondeur et la densité de son timbre, laissent regretter que son rôle ait été tant coupé. Elle incarne également une magnifique Voix de la tombe pour un trio qui restera l’un des plus beaux moments musicaux de la soirée.
Les autres rôles sont interprétés par des artistes du Chœur de l’Opéra de Dijon (fort joli et permettant une parfaite compréhension du texte). Malgré leurs qualités vocales, ils peinent à exister face aux très bon solistes de la distribution. Les ensembles dans lesquels ils sont impliqués sont dès lors très déséquilibrés, et leur jeu théâtral est bien moins abouti. Seul Matthieu Chapuis en Franz parvient à se hisser au niveau élevé de ses partenaires.
L’immense travail de détail réalisé sur cette production par tous ses protagonistes en fait un spectacle passionnant, que l’on connaisse déjà l’œuvre d’Offenbach ou non.