Noël avant Noël à Radio France !
On rêve d'entendre un jour l'Oratorio de Noël dans des conditions proches de celles de sa création : l’intégralité des six cantates dont il se compose, jouées dans une église (ou deux comme lors de sa création à Leipzig, à la Thomaskirche puis à la Nikolaikirche !), aux jours correspondant à ceux prévus par le texte : les trois jours de fêtes de Noël, le Nouvel an, le premier dimanche de l’an et l’Épiphanie. À défaut et traditionnellement, soit l’oratorio est joué dans son intégralité en une soirée, soit (plus fréquemment) les six cantates sont réparties sur deux soirées (ce fut le cas, par exemple, à la Cité de la musique en 2014), soit d'autres choix encore sont opérés : ainsi, il y a un an tout juste, Laurence Équilbey avait retenu, pour un concert donné dans la Chapelle royale du Château de Versailles, les deux premières et les deux dernières cantates de l’oratorio (voir notre compte-rendu).
Le choix de Trevor Pinnock pour ce concert donné jeudi 14 décembre dans le Grand Auditorium de Radio France est différent – et assez original : une première partie donne à entendre les cantates 1 et 2. Puis, après l’entracte, le Concerto brandebourgeois n°3 – dans lequel les musiciens de l’Orchestre National de France font montre d’une précision, d’une écoute mutuelle, d’une complicité très appréciées du public qui leur réserve des applaudissements chaleureux – se présente comme un intermède avant que ne commence la troisième cantate. C’est l'une des particularités de l’œuvre de Bach que de garder sa profonde cohérence, quelles que soient les conditions de son exécution et en dépit des principes même qui ont régi sa conception (l’oratorio comporte de nombreuses parodies, c’est-à-dire des adaptations destinées à une nouvelle utilisation d’un matériau musical antérieur, à d’autres fins et le cas échéant sur un nouveau texte).
Qui mieux que Trevor Pinnock pouvait incarner la verve jubilatoire qui irradie de nombreuses pages de l’Oratorio de Noël, dont le chœur initial Jauchzet, frohlocket ! Auf, preiset die Tage, véritable injonction à se défaire de toute morosité au profit d’une allégresse communicative ? Le chef britannique rayonne dès son entrée sur scène, et son bonheur de diriger l’oratorio de Bach semble se propager aux musiciens, aux choristes, aux spectateurs. Debout devant son clavecin, dirigeant instrumentistes, choristes et solistes d’un seul geste, d’un simple regard, indiquant, maintenant ou variant les tempi par la précision ou la vigueur de son toucher, il construit un écrin musical sobre, élégant, dynamique – dramatique quand il se doit, mais sans les excès qui pourraient dénaturer une œuvre d’inspiration sacrée. Dans ce cadre posé avec les complicités d’un Chœur de Radio France précis, juste, nuancé et d’un Orchestre National de France au mieux de sa forme (mention spéciale aux hautbois et aux trompettes, d’une précision et d’une musicalité impeccables !), les émotions que libère le texte de l’oratorio peuvent s’épancher librement : allégresse, jubilation, recueillement.
Ce à quoi participent les quatre solistes, tous parfaitement en phase avec la lecture proposée par le chef et donnant la très agréable impression de ne jamais tirer la couverture à eux, mais d’œuvrer ensemble à une vision commune de l’œuvre. Núrial Rial (dont un disque de duos sacrés, avec Valer Sabadus, est récemment paru chez Sony), n’intervient presque pas dans la première cantate, mais délivre dans la deuxième un élégant Herr, dein Mitleid…, secondé par le baryton Andrè Schuen. Nul doute qu’il faille désormais compter avec ce chanteur racé (qui vient d’incarner avec succès Don Giovanni sur les scènes de l’Opéra National de Lorraine et du Grand Théâtre de Luxembourg, dans la mise en scène de Jean-François Sivadier vue à Aix cet été), dont le timbre clair permet une parfaite intelligibilité du texte. La même remarque vaut pour le ténor Mauro Peter, qui est peut-être plus à l’aise dans les registres de la tendresse et de l’élégie que dans les vocalises de Frohe Hirten, eilt (au demeurant très honorablement exécutées), et la voix perd un peu de son velouté et ses couleurs dans l’extrême aigu de la tessiture. Mais quel timbre clair, chaleureux, doux sans mièvrerie aucune, et quelle diction ! C’est enfin toujours un bonheur de retrouver Ann Hallenberg, dont le style ne sort jamais des limites expressives imposées par le style sacré. Sa technique parfaite (peut-être acquise dans sa fréquentation des œuvres de Haendel, Vivaldi ou Rossini) lui permet d’exécuter les ornementations avec justesse, et cependant sans aucune ostentation. Quant à la chaleur de son timbre, elle fait merveille dans Schließe, mein Herze, dies selige Wunder, et surtout la merveilleuse berceuse Schlafe, mein Liebster.
Un beau concert, fruit de la conjonction de talents complémentaires et parfaitement assortis, ainsi que, de toute évidence, d’un beau travail d’équipe. La soirée, en tout cas, fut fêtée par le public, et a permis de lancer avec succès la série de concerts de musique sacrée qui, traditionnellement, fleurissent en cette période de l’année !