Impressionnant Requiem de Verdi à Saint-Étienne
Giuseppe Verdi (1813-1901) est connu pour ses grands opéras romantiques ainsi que pour son engagement politique en faveur d'une Italie unifiée. Cet idéal patriotique le rapproche du poète italien Alessandro Manzoni, auquel il voue admiration, presque vénération. Le 22 mai 1873, le poète meurt, Verdi en est très affecté. Pourtant anticlérical et habitué à la musique de théâtre, il décide de composer un grand Requiem à sa mémoire. Prenant naturellement comme livret la messe des morts de la liturgie catholique, le compositeur italien y apporte son écriture dramatique et expressive. Parfois considéré comme un « opéra en costumes ecclésiastiques », ce Requiem, pour orchestre, grand chœur et quatuor de solistes, impressionne ses auditeurs dès sa création, le 22 mai 1873 (anniversaire de la mort de Manzoni) en l’église San Marco de Milan. Outre l’écriture que l’on reconnaît dans ses opéras, l’effectif est très important, avec notamment un ensemble de cuivres élargi.
L’Opéra de Saint-Étienne voit donc en grand pour le concert de ce soir. Pour renforcer les quarante artistes du Chœur lyrique Saint-Étienne Loire, cent-cinquante amateurs sont invités, appartenant au Chœur Symphonia et au Grand Chœur à voix mixtes de la Maîtrise de la Loire. L’Introït qui ouvre le Requiem n’est certainement pas un début facile, tout en finesse. Pourtant, ni le chœur, ni l’Orchestre symphonique Saint-Étienne Loire ne souffrent d’une quelconque hésitation. Sous la direction de l’excellent David Reiland et grâce à sa collaboration avec les différents chefs de chœurs, l'auditoire sent le travail préparatoire rigoureux qui permet d’entendre ici une qualité de son et une précision des attaques superbes, particulièrement dans les pianissimi. Le chœur et l’orchestre se montrent aussi très sûrs dans les passages puissants, tel le terrifiant Dies Irae. Durant toute l’œuvre, le geste expressif mais toujours juste du chef met en valeur les expressions mélodiques et surtout harmoniques, par les nuances et la direction de phrasés. Si parfois certains pupitres traînent un peu ou d’autres prennent un peu trop leurs aises, David Reiland, très vigilant aux moindres détails, se montre capable de rééquilibrer ou d’impulser la bonne énergie avec une efficacité redoutable. Il est aussi certain que tous les musiciens sont aussi très attentifs et ne manquent pas un seul geste de leur chef. Cette concentration est particulièrement heureuse pour le début de la fugue à double chœur du Sanctus, qui semble à un moment dangereusement flou, mais qui se clarifie toutefois très rapidement.
Le quatuor de solistes est de très haute qualité, mais il souffre de l’hétérogénéité de ses timbres. La soprano Élodie Hache possède une voix claire et légère qui n’a peur d’aucun puissant tutti pour se faire entendre, grâce à ses aigus ciselés et par la maîtrise de son vibrato. Il semble néanmoins que la chanteuse française présente occasionnellement quelques fatigues, trahissant quelques défauts de justesse lors de l’Agnus Dei ou fragilités dans la dernière partie du Libera me. Ses duos avec la mezzo-soprano Aurore Ugolin font preuve d’un beau travail commun du texte et du phrasé. Malheureusement, les deux timbres se marient mal, sauf peut-être dans les (rares) passages à l’unisson où ils se complètent. La voix de la mezzo est très jolie et homogène, son phrasé est toujours très musical, avec un grand respect du texte et de la musique. Toutefois, la puissance et la clarté ne sont pas toujours suffisantes. Elle est souvent proche d’être engloutie par l’orchestre, sauf dans les aigus, grâce à un beau vibrato.
Paolo Lardizzone ne pouvant interpréter sa partie comme annoncé, le ténor
Paul Gaugler le remplace. Son timbre velouté se rapproche de celui
de la mezzo-soprano. Il est toutefois dommage qu’ils ne semblent
pas avoir eu la possibilité de travailler ensemble la diction et le
phrasé pour leur partie en duo du Domine Jesu. Les aigus du
ténor sont agréables, ne faisant défaut que lors d’une seule tenue
aiguë chancelante pendant son Ingemisco – qui, réussi, aurait
été sublime –, sections qu’il vit et interprète physiquement,
avec toutefois la retenue que suggère l’œuvre, ce qui lui confère une présence scénique et vocale très appréciable. La basse Wojtek Smilek possède un timbre et une présence autoritaire, avec une
certaine profondeur et une diction toujours soignée. Il serait même impressionnant s'il trouvait un peu plus d'éclat vocal.
Malgré ces différences de timbres, le beau trio a cappella du
Lux Aeterna doit être relevé.
Le public Stéphanois repart évidemment impressionné et ravi d’entendre (ou de réentendre) une si belle œuvre, interprétée avec autant de talents, réunissant professionnels et très bons amateurs – dans le sens très positif du terme.