Villazon et Abdrazakov allument le feu au TCE
En ce samedi d’hommage national à Johnny Hallyday, Rolando Villazon et Ildar Abdrazakov interprétaient en récital un programme varié, sans réel fil rouge. Le chef Guerassim Voronkov et l’orchestre, le Deutsche Staatsphilharmonie Rheinland-Pfalz sont les autres stars de la soirée. Leur interprétation de l’ouverture de Donna Diana d’Emil von Reznicek est colorée, conduite comme une chevauchée à travers des paysages variés. Plus tard, la phalange parvient à restituer toute la douceur et la force émotive du fameux intermezzo de Cavalleria Rusticana. Les cordes sont mises à contribution pour interpréter un extrait de l’oratorio La Vierge de Jules Massenet, dont la délicatesse (proche de l'écriture de Thais) est ici sublimée. Enfin, la Danse des heures de la Gioconda tient le public en haleine par une musique très visuelle et imagée.
Après avoir triomphé dans Don Carlos à Bastille, Ildar Abdrazakov enchante de nouveau le public parisien, montrant une nouvelle facette de son talent : le sombre Philippe II dévoile ici son côté facétieux, n’ayant rien à envier en la matière à son partenaire, connu pour ses interprétations espiègles. La basse présente tout d’abord un extrait d’Attila (récemment donné in loco), de sa voix profonde mais brillante, au souffle long. Il s’attaque ensuite au Credo de Mefistofele (« Son lo spirito che nega »), qui fera l’événement cet été à Orange (places à réserver ici). Si ses « No » manquent de cynisme, il finit par un sifflement strident accompagnant ses « Fischio ! Fischio ! » (Je siffle ! Je siffle ! »). Puis, il fait siffler le public avant de faire apparaître Rolando Villazon d'un nouveau sifflement autoritaire. Ce dernier, tente alors sa chance avec humour, d’un sifflotement bien moins terrifiant, provoquant l’hilarité du public. Dans la romance de Rachmaninov, « Ne poj, krasaviza, pri mne » (Ne chante pas ma belle enfant), Abdrazakov trouve une large résonance dans toute la hauteur de sa colonne d’air, ce qui lui permet d’offrir des nuances extrêmes, du pianissimo à un tonnant forte. Dans Occhi di fata de Luigi Denza, c’est son phrasé noble et caressant qui est mis en avant.
De son côté, Rolando Villazon évite les airs d’opéra, ce qui ne l’empêche pas d’aborder Verdi, à travers son Esule, dont il trouve les aigus en voix mixte, en couvrant et allégeant fortement sa voix. Son ancrage se fait le plus souvent dans des médiums barytonants (lui qui prendra le rôle de Papageno dans la Flûte enchantée cette saison), ce qui procure un son tantôt engorgé et tantôt nasal, souvent suave. Son légendaire investissement théâtral ne lui fait pas défaut : chaque mot prononcé est gorgé de sens. Dans « Non t’accostare all’urna » (toujours de Verdi), il laisse exploser sa technique, tenant ses notes immensément, allant jusqu’à se recroqueviller pour chercher l’air jusqu’au plus profond de son appareil respiratoire. Sa théâtralité s’exprime également dans les sanglots que semblent incorporer son timbre sur « La del Soto del Parral » de Reveriano Soutullo et Juan Vert, ou dans la gestique très italienne qui accompagne son « Musica proibita » de Stanislao Gastaldon.
Quelques duos, malheureusement déséquilibrés entre la basse tonnante et le ténor convalescent, ponctuent la programmation, comme dans l’extrait de Mefistofele, où, la voix fatigant, Villazon ne parvient pas à émettre quelques notes haut perchées, se rattrapant aussitôt en approfondissant les suivantes, ou bien le fameux Granada d’Agustin Lara au cours duquel les deux artistes se lancent dans un concours de pas de danse. Après une reprise d’Ochi chyornye (Les yeux noirs) de Florian Hermann, le public leur offre une ovation de quatre minutes, plusieurs admiratrices leur apportant fleurs et présents : généreux, le duo offre pas moins de cinq bis, allongeant le concert de 25 minutes. Si la reprise d’Over the rainbow manque d’émotions, l’interprétation par Abdrazakov de l’air de La Calunnia, extrait du Barbier de Séville (actuellement représenté sur la même scène, et à réserver ici), frise la perfection. Villazon met ensuite le public en délire en chantant La Danza de Rossini, faisant signe aux spectateurs de sortir leur parapluie lorsque les « Frinche, Frinche » s’enchaînent, provoquant des excès de salive. Deux duos achèvent la performance, dont le fameux « Funiculi funicula » de Luigi Denza, donnant lieu à une improvisation des deux chanteurs, les paroles ayant été oubliées. Le public bat des mains dans une longue et intense standing ovation.