Rare et précieuse Francesca da Rimini de Riccardo Zandonai à Strasbourg
Comme
d’autres compositeurs italiens du premier quart du vingtième
siècle, Riccardo Zandonai, longtemps présenté bien à tort comme
un épigone de Puccini, s’est laissé séduire par l’œuvre
complexe de l’extravagant auteur aux amours multiples. Gabrielle
d’Annunzio exerçait alors une attractivité il est vrai
irrépressible. Musicalement, Francesca da Rimini offre de belles et
fortes perspectives. Élève de Pietro Mascagni, admirateur de Richard Wagner mais aussi de Claude Debussy, Zandonai s’enrichit de ces
influences tout en développant une poétique musicale propre qui se
révèle tout particulièrement au premier acte, tout empreint
d’élégance et d’un lyrisme inspiré (intervention des suivantes
de Francesca, de sa sœur Samaritana, du chœur particulièrement
sollicité). Les trois autres actes prônent une musique plus
véhémente, beaucoup plus d’essence dramatique même, tout en
renouant lors du concert chez Francesca au troisième acte, avec des
instruments anciens comme le luth pour créer une ambiance passée.
L’écriture vocale en elle-même s’avère redoutable pour
l’ensemble des rôles principaux. De nouveau, Tristan et Isolde se
profile !
Nicola Raab, pour sa mise en scène, a privilégié avec ses équipes -Ashley Martin-Davis pour les décors et costumes et James Farncombe pour les éclairages- le recours à la sobriété et à l’essentiel afin de mieux mettre en exergue les contours de cet amour impossible. Un décor cylindrique pivotant, sévère par ses déclinaisons de noir et de gris, traduit successivement les différents lieux où l’action se développe, du palais de Ravenne du début, à la tour dominant la bataille de Rimini au second acte et jusqu’aux appartements de Francesca. Reprenant à son compte un procédé déjà utilisé à maintes reprises par d’autres, Nicola Raab montre Francesca au premier acte revivant la découverte de l’amour à l’apparition muette de Paolo il Bello, un double d’elle-même offrant au jeune homme une rose symbolique. Mais ensuite, l’action prime et prend le dessus. Chaque rôle bénéficie, même au niveau des chœurs, d’une recherche particulière et participe à son niveau du déroulé global. Toutes les situations sont parfaitement réglées, de façon intense et puissante. La vision de Francesca et Paolo transpercés par l’épée d’un Gianciotto fou de jalousie, et ne faisant plus qu’un comme dans une étreinte charnelle, la seule et unique assurément, glace le sang ! Un spectacle exigeant certes, mais assurément fort abouti.
Saioa Hernández fait valoir dans le rôle de Francesca un soprano fort large et doté d’un aigu vaillant, fort sonore. À aucun moment, elle ne semble éprouvée par les exigences vocales du personnage qu’elle affronte avec une conviction absolue jusque dans les graves appuyés, ceci n’excluant d’ailleurs pas l’exaltation du sentiment. À ses côtés, Marcelo Puente donne beaucoup de caractère au personnage, au départ moins central tout de même, de Paolo. Doté d’une belle et franche voix de ténor, au timbre agréable, il se montre à la hauteur de sa partenaire et la rejoint avec une détermination affirmée lors du magnifique duo du troisième acte scène 4 « Benvenuto, signore mio cognato ». L’aigu toutefois pourrait être encore plus rayonnant, plus solaire. Débutant une carrière plus que prometteuse, Marcelo Puente, ténor d’origine argentine (il vient de débuter cette année au Covent Garden de Londres et à La Monnaie de Bruxelles en Pinkerton de Madame Butterfly), incarnera Maurice de Saxe dans l’Adrienne Lecouvreur de Cilea qui sera présentée au Festival de musique de Verbier à l’été 2018.
Le baryton dramatique Marco Vratogna incarne un Gianciotto de forte facture, d’une voix grave et puissante. Il insuffle un rien d’humanité à un être terrifiant qui ne peut en rien inspirer l’amour. Très présent aussi Ashley David Prewett (baryton-basse) dans le rôle d’Ostasio, le frère peu scrupuleux et Tom Randle (ténor), le troisième frère de la fratrie des Malatesta dénommé Malatestino lui aussi épris de Francesca et qui rejeté, précipitera l’inéluctable drame.
Toutes les interprètes féminines sont à saluer sans réserve tant l’ensemble frise l’idéal : Idunnu Münch, l’esclave Smaragdi, beau mezzo fruité et sensible, Josy Santos, Samaritana de lumineuse présence, mais aussi pour les suivantes, Francesca Sorteni (Biancofiore), Fanny Lustaud (Adonella), Marta Bauzà (Garsenda), toutes trois membres de l’Opéra Studio de l’Opéra du Rhin et Claire Péron (Altichiara).
Giuliano Carella retrouve une partition jouée pour la première fois à Amsterdam il y a 17 ans. Il bouscule un peu l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg au premier acte, qui de fait met un peu de temps à trouver ses marques. Mais par la suite, il se met pleinement au service d’un opéra qu’il qualifie lui-même de chef-d’œuvre, insufflant à la phalange un enthousiasme communicatif, voire un peu trop sonore à certains moments. Les Chœurs de l’Opéra préparés avec soin par Sandrine Abello font merveille de bout en bout.