À la Philharmonie, Cecilia & Sol majeur
Le duo composé de la mezzo-soprano Cecilia Bartoli et de la violoncelliste Sol Gabetta investit la Philharmonie de Paris afin de défendre son album, récemment paru. Accompagnées de la Capella Gabetta fondée et dirigée par Andrès Gabetta (le frère de Sol), elles déroulent un répertoire baroque associant morceaux célèbres et raretés.
Les musiciens de la Capella Gabetta jouent debout, s’observant du coin de l’œil, emmenés par leur Directeur et violon solo, qui se distingue par sa chemise bleue quand tous les autres musiciens sont en noir, et qui impulse les départs en battant l’air de son archet. Leur interprétation de l’ouverture d’Il Ciro riconosciuto de Johann Adolf Hasse est vive et fine. Andrès Gabetta affiche d’emblée sa virtuosité dans un dialogue avec l’alto au son guttural. Lorsque les dernières notes résonnent, l’orchestre est plongé dans le noir : Sol Gabetta apparaît alors à cour, baignée de lumière pour interpréter un extrait de Nitocri d’Antonio Caldara. Tandis qu’un son noble et profond s’échappe de l’instrument, une autre poursuite lumineuse se braque à jardin pour l’entrée de La Bartoli qui entonne aussitôt son air, les yeux régulièrement attirés par la partition placée devant elle. Sa voix teintée d’ébène est suave et légèrement vibrée. Son phrasé est émouvant : le son de sa voix semble transpercé par les coups d’archet de Sol Gabetta qui joue en doubles croches, les yeux et le sourire tournés vers sa complice.
Autre ouvrage méconnu, Il nascimento dell’Aurora d’Albinoni est entonné dans un grand sourire, la cantatrice déployant un long souffle sur des vocalises nuancées. La partition est interprétée avec beaucoup de relief par l’ensemble. Puis, dans San Sigismondo de Gabrielli, c’est une voix pleurante qui s’échappe de la bouche de Bartoli, dont les yeux restent clos dans une attitude de recueillement. Lorsqu’une ligne mélodique vocalisante est reprise dans la partition, elle se retourne afin de l’offrir au public situé dans son dos, les spectateurs de la Philharmonie étant placés tout autour de la scène.
Les deux solistes sortent alors pour laisser la Capella interpréter l’ouverture d’Ariodante, non pas la version connue de Haendel, mais celle de Pollarolo, dans laquelle le hautbois est particulièrement mis en valeur. Haendel ne vient qu’ensuite avec l’un de ses airs les plus connus : « Lascia la spina ». Lorsque les premières notes retentissent, un murmure parcourt les travées. Bartoli ouvre grand la bouche pour élargir ses « a » et donner de la résonance à ses aigus poitrinés, qui convoquent une technique vocale proche de celle d’un contre-ténor. Le morceau suivant, extrait de Siroe de Raupach permet d’admirer le timbre charnu de la mezzo-soprano, qui s’accompagne en claquant des doigts. Après un passage virtuose de l’Ode pour le jour de sainte Cécile de Haendel, les lumières se rallument pour l’entracte.
La seconde partie démarre par un concerto pour violoncelle de Luigi Boccherini, dont les lignes mélodiques sont teintées d’une finesse toute mozartienne : Sol Gabetta dévoile des trésors de nuances et d’accentuations, vivant la musique et entaillant le silence de sons tranchants et acérés. Le regard tourné vers son frère lors de chaque attaque, un sourire illumine son visage, sauf lorsque quelques fausses notes lui échappent et la contrarient. C’est ensuite la danse des furies extraite d’Orphée et Eurydice de Gluck qui passe comme une tempête, avant que Cecilia Bartoli n’interprète le dernier air du programme, « Se d’un amor tiranno » de Boccherini, dans un fondu enchaîné, les deux morceaux semblant ne former qu’une seule pièce.
Deux bis sont offerts au public. Un extrait d’une zarzuela de José de Nebra, dans lequel la cantatrice s’accompagne d’un tambourin, tandis que le corniste interprète à merveille la partie de castagnettes, puis, après avoir feint de demander au public s’il souhaitait un second rappel, c’est « Sovente il sole » de Vivaldi qui est interprété avec grâce. Le public y répond par un long solo de battements de mains, de « bravi ! » et autres « grazie ! », digne des artistes qui se sont produits devant lui.