Les Puritains de Bellini au firmament à Monte-Carlo
L’Opéra de Monte-Carlo propose régulièrement en version concert un ouvrage lyrique du XIXe siècle se rattachant au répertoire romantique et belcantiste. Après Maria Stuarda de Donizetti l’an dernier -avec déjà Annick Massis, fidèle habituée des scènes monégasques-, Les Puritains de Vincenzo Bellini s’imposaient. Dernier ouvrage du compositeur, créé triomphalement au Théâtre-Italien de Paris en janvier 1835, la version présentée ici est celle publiée par les éditions Ricordi -version dite de Paris-, mais dans l’édition critique du musicologue Fabrizio Della Seta, certainement la plus complète musicalement à ce jour. Ce sont donc presque trois heures de musique qui sont ainsi offertes. L’ouvrage rétabli dans sa plénitude (le duo Elvira/Arturo à l’Acte III élargi paraît de fait plus équilibré), brille de mille feux.
Les lecteurs trouveront sur le site d’Ôlyrix un dossier complet sur les Puritains et un descriptif de l’action. Pour parfaitement fonctionner, l’ouvrage doit se parer de voix exceptionnelles et renvoyer à l’image mythique des créateurs constituant le fameux « Quatuor des Puritains », la soprano Giulia Grisi (Elvira), le ténor de grâce Giovanni Battista Rubini (Arturo), le baryton Antonio Tamburini (Riccardo) et la basse légendaire Luigi Lablache (Giorgio). La distribution vocale réunie à Monte-Carlo en possède de multiples atouts. Annick Massis, un rien réservée à l'acte I, se libère ensuite au contact de ses partenaires, offrant un portrait attachant et juste d’Elvira, jusque dans les moments de folie. Loin de sacrifier l’expressivité sur l’autel de la virtuosité -suivant en cela, malgré des moyens fort différents, l’exemple de Maria Callas dans ce rôle précis-, elle s’abandonne au chant extatique avec volupté, suavité. Bien entendu, elle déploie ses qualités essentielles : art du trille et de l’ornementation, notes piquées, aigus et suraigus d’une sûreté infaillible, demi-teintes et notes comme suspendues dans le temps. La voix, peut-être, a perdu en largeur, mais la clarté, l’intelligence, l’adéquation à ce répertoire demeurent intacts. Elle trouve en Celso Albelo un partenaire de choix dans un rôle qu’il maîtrise bien (il fut Arturo au dernier Festival de Radio France Montpellier dans la version dite « de Naples » avec Karine Deshayes en Elvira : retrouvez-en ici notre compte-rendu). L’émission vocale apparaît haute et franche, dotée d’une énergie communicative et s’épanouissant tout particulièrement dans ses duos avec Annick Massis. Les aigus redoutables sont émis avec vaillance et en voix pleine. Pour autant, l’artiste peut offrir des moments plus raffinés, plus sereins.
Il paraît ensuite difficile de dissocier les deux interprètes exceptionnels en cette après-midi du 3 décembre, Gabriele Viviani (Riccardo) et l’imparable Erwin Schrott (Giorgio) tant leurs voix se complètent et s’harmonisent, notamment lors du très long duetto final de l’acte II et sa fameuse conclusion héroïque « Suoni la tromba ». Leur plaisir de chanter ensemble est visible, tangible et atteint son paroxysme émotionnel dans ce duetto qui emporte le public sur des sommets trop rarement atteints. La voix de Gabriele Viviani au grain viril et conduite avec assurance se déploie avec fermeté tout le long de ses interventions et lors de son air/monologue du premier acte. Erwin Schrott, dans ce rôle de père noble (Giorgio), fait résonner son immense voix de basse, redoutable dans ses éclats, ardente et fière. Voix d’airain certes, mais qui sait se plier aux exigences de ce répertoire comme le démontre son interprétation toute en sensibilité de son air magnifique « Cinta di fiori » : legato parfait, émission large et profonde, alliance des couleurs et de l’intention pour une expressivité dramatique intense.
Loin de se laisser démonter par de tels interprètes, les autres protagonistes tentent avec bonheur de les rejoindre au plus proche, notamment Marina Comparato (Enrichetta) au beau mezzo-soprano de caractère et la basse coréenne In-Sung Sim, remarquable de présence dans le rôle trop court de Gualtiero. Déjà présent dans le rôle de Poisson dans la récente Adrienne Lecouvreur présentée à l’Opéra de Monte-Carlo (compte-rendu), le ténor Enrico Casari se fait plus que remarquer dans le rôle épisodique de Bruno qui ouvre l’opéra.
Le jeune chef d’orchestre d’origine vénézuélienne Domingo Hindoyan -il s’est fait repérer en France récemment à l’Opéra National de Nancy Lorraine en dirigeant Semiramide avec Franco Fagioli (compte-rendu) et doit débuter au Metropolitan Opéra de New-York en janvier 2018 avec l’Élixir d’Amour-, recueille légitimement une large part du succès. Sa direction étoffée, précise et généreuse, toute emplie d’amour pour cette musique magnifique, déploie des chatoyances presque nouvelles et offre un écrin de choix pour les chanteurs, mais aussi pour les Chœurs excellents (préparés par Stefano Visconti). L’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo semble conquis et le suit parfaitement dans toutes ses sollicitations.