L'Instant lyrique de Vannina Santoni à l'Éléphant Paname
Un public d'habitués et de nouveaux venus (re)découvre ce trésor caché parisien, sa piste aux étoiles et sa coupe de champagne offerte en apéritif d'un concert toujours chaleureux. Comme tant d'autres avant elle, Vannina Santoni se sent visiblement bien dans ces lieux et elle y déploie d'emblée la chaleur de son chant. Les voyelles assombries, refermées et placées vers la gorge lui donnent un appui pour couvrir et déployer une voix aussi ample dans les graves et les mediums que couverte dans les aigus. Son français est ainsi coloré sans rien perdre de son intelligibilité.
Les deux poèmes de Paul Verlaine mis en musique par Claude Debussy (1862–1918) offrent d'emblée une démonstration de moyens vocaux tournant allègrement sous le dôme étoilé de cette salle circulaire. C’est l’extase langoureuse et la sensualité est déjà expansive et affirmée, davantage offerte que retenue à soi, tout comme est largement partagée la mélancolie d'Il pleure dans mon cœur.
Les vers de Victor Hugo mis en musique par Reynaldo Hahn (1874–1947) ont déjà des ailes et volent gaiement (Si mes vers avaient des ailes). Les quatre mélodies choisies parmi le catalogue de ce compositeur font œuvre avec quatre poètes différents. D’une prison de Paul Verlaine (poème qui fut aussi supérieurement mis en musique par Gabriel Fauré) offre les plus grands instants lyriques avec un large déploiement vocal, opératique sur le vers poignant « Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà, De ta jeunesse ? ».
À Chloris (Théophile de Viau) offre sans doute l'un des motifs les plus célèbres de Reynaldo Hahn, avec des intermèdes délicatement baroques en même temps qu'une prière recueillie pour la chanteuse. Du recueillement, Vannina Santoni en a les mains jointes mais avec la voix toujours déployée. Vient alors ce sommet d'émotion recueilli dans Trois jours de vendange (Alphonse Daudet). Il suffit de dire comment elle chante le mot "étrange", le an un peu allongé, le ge un peu chuinté, "je frissonne" frissonnant et donnant le frisson. L'émotion est semblable à celle ressentie en l'Abbaye de Royaumont le 23 septembre 2017 lorsque Doris Lamprecht interpréta cette même mélodie. Cela augure aussi pour le mieux de l'intensité que Santoni offrira à La Traviata qu'elle prendra au Théâtre des Champs-Élysées la saison prochaine.
Un tel investissement devait toutefois pêcher par excès dans l'une de ces mélodies de salon. Il s'agit de Psyché (Pierre Corneille) par Émile Paladilhe (1844–1926) où l'émotion encore trop intense ne se canalise pas dans une ligne qui passe du "soupir" au "cri" dans les paroles du poème comme dans le chant. Le tremblement et l'intensité ne figurent alors plus un vibrato mais un écart par rapport au placement et à la justesse. Heureusement, Le soir (Alphonse de Lamartine) de Charles Gounod (1818–1893) ramène immédiatement la voix dans les rails de son piano à l'accompagnement obstiné, marmoréen et reflété. La voix monte amplement et aisément sur ces phrases croissantes, le vibrato est toujours rapide mais assoupli et les résonances reviennent par la cavité voûtée d'une bouche adoucie.
Vannina Santoni prend alors la parole pour présenter la mélodie suivante composée par Benjamin Garzia (1983) et lire une traduction de son poème Accarezzami (signé Alda Merini, poétesse italienne du XXe siècle, amoureuse à la folie). L'œuvre demande au pianiste de marmonner, persifler, chanter, frapper du pied et taper le pupitre de son instrument, tout en passant d'un accompagnement pointilliste à de larges accords superposés noyés de pédale. Ce bond esthétique, d'un siècle en avant par rapport au reste du programme, semble très ardu. Le geste louable de proposer une création contemporaine dans un tour de chant (et notamment d'une telle œuvre aux qualités de construction formelle soutenant l'exploration timbrale) aurait bénéficié d'une meilleure préparation, notamment en l'entourant de pièces faisant la passerelle avec les mélodies de salon.
La création laisse à tout le moins l'occasion d'apprécier la voix de la soprano en italien, du murmure à l'aigu fortissimo, l'occasion également d'apprécier un volume qui, même puissant, est agréable aux oreilles et aux yeux. C'est portée par les mêmes qualités qu'elle déploie la Vocalise de Sergueï Rachmaninov (1873–1943), toujours avec l'imposant résonateur du plexus solaire.
Cependant, après cette pièce sans parole, la langue russe lui fait de nouveau perdre l'ancrage sur Ne poi krasavitsa pri mne (Alexandre Pouchkine) et il en va de même pour l'allemand avec les Lieder de Gustav Mahler (1860 –1911) : Liebst du um Schönheit et Ich bin der welt abhanden gekommen (Friedrich Rückert). Elle peut toutefois compter sur Antoine Palloc, le fidèle accompagnateur des Instants lyriques (qu'il s'agisse d'un récital d'Alexandre Duhamel ou d'un Gala Offenbach, parmi de nombreux autres), qui est fidèle à lui-même et à son interprète : assuré et rassurant, attentif et attentionné.
Cet Éléphant Paname est un animal astucieux, qui propose toujours des programmes assez courts pour pouvoir offrir généreusement de nombreux bis. Les interprètes proposent ainsi trois morceaux supplémentaires. Le premier, une mélodie de Rimski-Korsakov est interprété en hommage à Dmitri Hvorostovsky par une chanteuse qui écrase une larme. Avant le merveilleux air de Gianni Schicchi,"O mio babbino caro" (rappelant qu'il faudra passer par Verdi avant Puccini), Vannina Santoni aura parcouru Les Chemins de l'amour par Francis Poulenc avec une projection retrouvée et tout ce qu'il y a de langueur pour charmer un public. Sous l'effet de son admiration enthousiaste, les spectateurs avaient d'emblée fait sauter le rituel exigeant qu'on n'applaudisse pas entre les œuvres d'un même compositeur. Les brava auront été une constante de la belle soirée.
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