Virtuose et touchant récital de Lawrence Zazzo à Lyon
Stefano Montanari et son récent ensemble voué au répertoire baroque I Bollenti Spiriti, constitué de musiciens de l’Orchestre de l’Opéra national de Lyon (et qui ont porté l'Alceste de Gluck in loco en mai dernier), continuent une exploration du répertoire haendélien en invitant le contre-ténor américain Lawrence Zazzo. Le programme de la soirée est constitué d’airs bien connus de Georg Friedrich Haendel (1685-1759) ou de son rival Nicola Porpora (1686-1768), ainsi que d’autres de compositeurs de l’entourage du germano-britannique, mais moins connus du grand public, tels Attilio Ariosti (1666-1729) et Giovanni Bononcini (1670-1747). Stefano Montanari profite de cette belle occasion pour faire entendre des concertos de Francesco Maria Veracini (1690-1768), de Francesco Geminiani (1687-1762) et de Maddalena Laura Lombardini Sirmen (1745-1818).
Avec son look noir habituel de musicien contre-culture, Stefano Montanari, depuis son violon, donne le départ pour le Concerto à huit instruments en ré majeur (1711) de Veracini. La direction reste minimaliste bien qu’il agisse toujours par sa présence. Évidemment, il assure aussi les parties solistes du concerto : la justesse est souvent fort douteuse, les démanchés savonneux, les aigus incertains. L’attention est entièrement portée sur le son et ses effets. Effectivement, il y a un grain dans son jeu et une énergie qui donne une couleur très marquée lorsqu’il se joint au tutti. Il est dommage que le violoniste-chef ne soit pas entièrement tourné vers le public pour sa première cadence, son attention étant davantage portée vers la basse continue, empêchant un certain partage de sa musique. Dans la cadence finale du soliste au premier mouvement, les couleurs harmoniques quasi-hypnotiques du mouvement lent Adagio ne sont pas magnifiées par un orchestre peinant à jouer ensemble. Stefano Montanari montre sa haute maîtrise de la technique d’archet, avec divers effets de son et de nuances très réussis. Dans le troisième mouvement Allegro, le chef-violoniste semble enfin prendre un réel plaisir, notamment par ses grands sourires : le son et l’énergie de l’instrumentiste y sont le fruit d’une grande musicalité.
Arrive en scène Lawrence Zazzo, très élégant en veste argentée sombre et chemise mauve. Après une courte introduction, où les basses semblent avoir mis deux mesures pour se mettre d’accord et gagner en précision, le contre-ténor se montre de suite très expressif, autant dans son chant que par sa présence scénique, dans le récitatif puis l’air de Coriolano « Pirate o iniqui marmi… Voi d’un figlio tanto misero » extrait de l’opéra Cain Marzio Coriolano (1723) d’Ariosti. Son timbre est moelleux mais ses phrases, pourtant bien menées, semblent parfois gênées par certains passages de registres et sa voix montre une puissance limitée. Sans doute, la voix doit-elle encore se chauffer, car les vocalises ne paraissent pas toujours très naturelles, parfois même entrecoupées.
Déjà, I Bollenti Spiriti offrent un interlude instrumental, le Concerto grosso en ré mineur « La Follia » (1726-1727) de Geminiani, d’après la Sonate op.5 n°12 « La Follia » (1700) d’Arcangelo Corelli (1653-1713). Ce fougueux thème et ses formidables 23 variations ont pour excellents et très virtuoses interprètes le quatuor de chefs de pupitres et le chef. Il faut particulièrement saluer l’excellence du premier violon Nicolas Gourbeix et de la violoncelliste solo Valériane Dubois. Il manque en revanche une sorte de folie dans l’interprétation de l’ensemble, qui ne s’investit pas comme on pourrait l’attendre d’une pièce aussi vive et plaisante. Stefano Montanari en est très certainement conscient, ne manquant pas d’outils pour impulser l’énergie, par sa direction, son jeu instrumental ou même un violent coup de pied sur le plancher.
La scène accueille de nouveau Lawrence Zazzo pour la lamentation de Crispo « Così stanco pellegrino » extrait de l’opéra éponyme (1722) de Bononcini. La première partie de l’air est accompagnée par une mélodie de violoncelle superbement interprétée, avec beaucoup de délicatesse. Le chant de Lawrence Zazzo se montre lui aussi plein de finesse. Le chef d’orchestre pose avec douceur et idéale attente la note finale, ce qui permet d’apprécier un véritable silence avant les applaudissements.
Stefano Montanari a une nouvelle opportunité de communiquer son plaisir de jouer de son instrument avec le Concerto pour violon et orchestre en la majeur de Lombardini Sirmen, élève virtuose du grand violoniste Giuseppe Tartini. La cadence du premier mouvement Allegro est bien plus propre et agréable que celles des concertos précédents. Le public se retient difficilement d’applaudir avant que ne commence le deuxième mouvement Adagio. Celui-ci fait entendre des nuances piani saisissantes, particulièrement dans la cadence, l’auditoire étant incroyablement attentif, retenant son souffle pour ne pas couvrir la semi-improvisation du soliste. Le jeu reprend de plus belle lors du mouvement Rondo Allegretto – au style préclassique viennois – devenant même théâtre : Stefano Montanari joue un rôle, interagissant avec ses musiciens, souriant, jouant de réactions lors des silences – ce qui ne manque pas d’amuser le public – où en exagérant volontairement certains glissandi.
La seconde partie de concert commence par les subtils et efficaces contrastes de l’ouverture d’Ariodante (1735) de Haendel, qui introduit un premier air d’Orlando, l’air du sommeil « Già par la man d’Orlando… Gia l’ebro ». Le premier pupitre d’alti y a une magnifique partie solo et se lève afin d’être mieux entendu et vu. Lawrence Zazzo se montre toujours aussi expressif et ce doux accompagnement lui permet de s’exprimer avec une belle émotion. Dans l’air suivant « Ah ! stigie larve… Vaghe pupille », le contre-ténor incarne véritablement son personnage. Dans ses phrasés, il aime particulièrement appuyer les dissonances des appogiatures, exagérant ainsi leur propriété expressive. Ses vocalises et son souffle ne font absolument pas défaut et méritent leurs applaudissements.
Après l’ouverture de Polifemo (1735) de Porpora, sous la direction ample et souple du chef, Lawrence Zazzo offre une très belle interprétation de l’air d’Acis « Alto Giove », accompagné d’un orchestre très attentif à ses propositions de couleurs et de phrasés. Stefano Montanari n’hésite pas à prendre son violon dans la deuxième partie de l’air pour donner une énergie et un son nouveaux à ses musiciens. Enfin, dans l’air de Bertarido « Vivi, tiranno » extrait de Rodelinda (1725) de Haendel, la voix du chanteur américain se montre bien plus puissante et encore plus convaincante, particulièrement par ses vocalises impressionnantes.
Pour remercier le public enthousiaste, Lawrence Zazzo et Stefano Montanari offrent le dernier air pour alto masculin composé par Haendel « Yet, can I hear that dulcet ley » extrait de l’oratorio The Choice of Hercules (1750). L’accompagnement en sourdine crée un tapis sonore sublime sur lequel la voix peut s’exprimer avec cette liberté qui captive et touche.