Un voyage en Italie réussi par l'Académie de l'Opéra de Paris
C'est plutôt un voyage au cœur de paysages intérieurs que nous proposent les chanteurs. Tantôt mélancoliques, mystérieux, passionnés ou déçus, les sujets des mélodies sont autant d'états d'âme, de caractères que les membres de l'Académie savent rendre sensibles à la fois par leurs voix et leurs corps.
La première à témoigner de ces affres qui tourmentent l'âme est la nature. Oreille attentive mais interlocutrice silencieuse, elle est pour le poète une présence vitale, elle est celle qui fait dire « Belle lune, qui argente ces berges et ces fleurs... Soit seule témoin de mon fervent désir » dans Vaga Luna, che inargenti composé par Vincenzo Bellini. Bien que souffrante, comme l'annonce la programmatrice du récital, la soprano Angélique Boudeville enrobe ce bel canto bellinien d'une voix pleine, doucement animée de vibrato. Gardant une posture quelque peu statique, l'effet de son chant n'en émeut pas moins l'auditoire. Chaque mot est pensé de manière expressive : sur « sospir » par exemple, sa voix prend un contour plus essoufflé, rendant bien perceptibles les soupirs de l'amant confiés à la lune argentée.
Cette mélancolie prend fin avec une mélodie de Gioachino Rossini, La Promessa, une promesse d'amour dont la mélodie facilement mémorisable laisse deviner l'inventivité du compositeur d'une quarantaine d'opéras. Les traits du pianiste et chef de chant Alessandro Pratico se font encore plus fins, et parfaitement dosés avec la voix d'Angélique Boudeville. Balançant doucement la tête et le haut du corps, son interprétation pianistique s'accorde parfaitement avec le rythme à trois temps. Le poème de cette mélodie est le premier d'une série d'autres qui parsèment ce récital, écrits par le librettiste Pietro Metastasio, connu pour être l'auteur de certains livrets de Mozart et Haydn.
Suit une grande parenthèse tracée par des mélodies d'Ottorino Respighi sur des poèmes de Metastasio, également tournés vers la nature, mais dans une perspective bien plus mythique et mystique. Celle-ci est décrite comme un lieu mystérieux, pétri de souvenirs antiques et peuplé de créatures : faunes, nymphes, etc. Ces tableaux panthéistes sont rassemblés par Respighi dans le cycle Deita Silvane (1917). S'y mêlent des couleurs debussystes, modales, propres à susciter « l'impression » du passé. La soprano Marianne Croux (appréciée en "jeune femme" dans La Ronde récemment menée par l'Académie en ces lieux) donne une allure tout en demi teinte à ces mélodies : sa voix au teint clair et pointillante sait se faire plus feutrée, seyant ainsi au changement fréquent d'ambiances. Dans Eglé, elle passe du mezza voce au parlando, gardant un sourire espiègle. Au terme du chant, les sons semblent comme suspendus : la soprano demeure les mains et la bouche entrouvertes, le pianiste italien Enrico Cicconofri garde un instant le bras et la main levés, fermant ainsi délicatement une interprétation nuancée et précise.
La mezzo-soprano américaine, Jeanne Ireland, clôt ces tableaux avec Il tramonto (Le coucher de soleil) que Respighi compose sur un poème de Shelley. Accompagnée du quatuor de l'Académie, la mezzo enrobe cette mélodie de sa voix sombre et solide. Celle-ci semble émaner sans effort de sa posture impassible, presque hiératique. Des longues tenues au pupitre des violons porté par Aymeric Gracia et Hanna Zribi exhalent des couleurs inattendues parfaitement mises en valeur par les transitions subtiles. Par les tapis sonores entrecoupés puis reliés, les quartettistes interprètent parfaitement l'allure rhapsodique de l’œuvre.
Les auditeurs ont à nouveau l'occasion de profiter des timbres du quatuor avec Crisantemi, thrène (pièce funèbre) à la mémoire d'Amédée de Savoie, duc d'Aoste et roi d'Espagne. Le thème est dirigé avec ferveur par les violonistes et l'altiste Marie Walter, dont les archets dansent dans un même sens, tandis que rebondissent les pizzicati du violoncelliste Hsing-Han Tsai.
Dans le même registre tragique, la soprano serbe Sofija Petrovic chante la peine face à la mort d'un être cher dans Non t'accostare all'urna (Ne t'approche pas de l'urne) de Verdi. Avec un vibrato à fleur de peau, elle interprète à merveille l'exubérance de l'écriture verdienne : son timbre sait se faire épais, presque rauque, à la manière de Maria Callas, puis éclatant dans les interjections expressives lorsqu'elle s'exclame « Empia ! » (ingrate). Son interprétation passionnée de Nell'orror di notte oscura (Dans l'horreur d'une nuit sombre) de Verdi, suscite même des bravi enthousiastes.
De l'amour idéal au regret, il semble
n'y avoir qu'un pas pour Francesco Paolo Tosti et le poète Carmelo
Errico qu'il met en musique dans Ideale et Non t'amo più (Je ne
t'aime plus). Le ténor corse Jean-François Marras en offre une
interprétation particulièrement sensible : chantant l'italien
comme s'il l'était, il surprend par ses aigus brillants et ses
tenues de note légères. Les mots qu'il chante semblent être
entièrement vécus, à la fois par les inflexions plaintives de sa
voix, mais aussi par les expressions de son visage. Le pianiste qui
l'accompagne, Benjamin Anfray maîtrise parfaitement les contrastes
de l'écriture, maniant accords puis arpèges. Les bravi et
applaudissements montrent qu'ils ont su sans conteste, toucher leur
public.
Celui-ci s'en va ravi, semble-t-il, de ce voyage tracé au fil des impressions du chant italien.
Retrouvez notre interview de Myriam Mazouzi, Directrice de l’Académie de l’Opéra de Paris