Grandiose Attila de Verdi à l’Opéra de Lyon
L’Opéra de Lyon offre une œuvre injustement oubliée du public français : Attila de Giuseppe Verdi (1813-1901), en version concert. Cet opéra, créé au Teatro La Fenice de Venise le 17 mars 1846, marque pourtant la fin de la collaboration du compositeur avec le librettiste Temistocle Solera et ainsi, de ses œuvres politiques de jeunesse, et la transition vers le drame intime et psychologique par son travail avec le poète Francesco Maria Piave. Malgré une écriture du livret longue et discontinue, les graves problèmes de santé de Verdi et une première catastrophique, l’œuvre connut un enthousiasme fulgurant : ses évidentes valeurs patriotiques ont su flatter le peuple vénitien sous occupation autrichienne et séduire par ses airs d’une grande virtuosité, ses chœurs grandioses et son rythme haletant. Cette grandiloquence spectaculaire et tapageuse, est aussi la cause d'un effet de lassitude ayant conduit à son oubli progressif. Pourtant, grâce à un plateau vocal de haute volée et des instrumentistes en grande forme, le public lyonnais ne regrette absolument pas la découverte de cette œuvre du jeune Verdi.
Le sujet, tiré de la tragédie de Zacharias Werner Attila, König der Hunnen (1808), s’inspire de l’histoire de l’invasion de l’Italie par le terrible roi des Huns, Attila, en 452 : après le pillage de ville d’Aquilée, le fidèle et jeune esclave d’Attila, Uldino, offre à son maître un groupe de jeunes femmes qui ont combattu aux côtés de leurs maris pour défendre leur ville. Parmi elles, la courageuse Odabella, fille du feu seigneur d’Aquilée. Admiratif de sa bravoure, le roi vainqueur veut lui offrir sa propre épée. Un présage lui annonçant sa défaite prochaine s’il marche sur Rome lui fait changer d’avis et Attila offre une trêve aux romains. C’est pourquoi le général romain Ezio et le guerrier Foresto, fiancé d’Odabella, sont invités à un banquet, où ils complotent contre l’envahisseur. Odabella, mariée de force au tyran, réussit à le transpercer de sa propre épée et ses compagnons victorieux partent fonder la ville de Venise.
Pour interpréter les impressionnantes acrobaties vocales du compositeur italien, la distribution est composée de personnalités assurément fortes, rompues à l’art du bel canto. À commencer par le charismatique Erwin Schrott en Attila qui montre dès son apparition une assurance physique et vocale, à la limite du désinvolte, avec son baryton-basse puissant et fier. Il incarne son rôle de roi autoritaire jusque dans son discours musical, prenant sans complexe certaines libertés de rythme et d’inflexion de la voix. Charmeuses dans les passages seuls, ces libertés sont plus problématiques dans les ensembles, particulièrement lors de son duo avec Ezio, « Tardo per gli anni / Vanitosi » (Prologue), malgré l’attention et la précision du chef. Ces effets savent toutefois conquérir son public, qu’il séduit encore lors des saluts, échangeant quelques complicités avec les premiers rangs ou envoyant des baisers aux balcons.
L’Odabella de la soprano russe Tatiana Serjan impressionne de suite par sa puissance naturelle, même dans les grandioses tutti avec chœurs. Néanmoins, lors du prologue, les bras croisés sur son diaphragme, ses aigus très maîtrisés semblent manquer de fluidité et de naturel. De plus, sa diction souffre un peu de la vitesse, accusant un léger retard lorsqu’elle est doublée par des bois (clarinette ou flûte). Mais peut-être est-ce à cause de l’interprétation de son rôle de princesse désespérée, car dans le premier acte, sa voix gagne en homogénéité et réussit à captiver dans sa touchante romance « Oh ! nel fuggente nuvolo » (Oh ! dans le nuage éphémère – Acte I, scène 1). Physiquement et vocalement, le personnage de Tatiana Serjan s’ouvre à l’arrivée de son bien-aimé Foresto. Dès lors, la soprano semble très à l’aise dans toute sa tessiture, très homogène, permettant des vocalises bien maîtrisées impressionnantes.
Foresto est interprété par le ténor Massimo Giordano, au timbre naturel et clair. Sa diction excellente lui permet de communiquer son texte avec le public, admiratif de la maîtrise de son souffle. Sa cavatine patriotique « Ella in poter del barbaro / Cara patria » (Elle est aux mains du barbare, ma chère patrie – Prologue, scène 2) est fort applaudie, avec raison, comme sa douloureuse et captivante romance « Che non avrebbe il misero » (Que ne ferait le misérable – acte III). Il arrive que le ténor manque d’un peu de vigilance dans un ou deux ensembles, mais l’attention vive du chef n’en fait qu’un point anecdotique.
Le baryton Alexey Markov incarne l’ambassadeur et général Ezio. Sa voix est agréablement timbrée, ronde et délicate. Bien différente de celle d’Erwin Schrott, elle peut faire contraste au premier abord, mais ces deux voix de baryton se marient plutôt bien lors des ensembles. Lors de son air « Dagli immortali vertici » (Des sommets immortels – Acte II, scène 1), Alexey Markov se montre expressivement convaincant, bien que sa voix, un peu tendue, semble comme accordée sur un diapason un peu bas.
Malgré ses interventions plus épisodiques et moins virtuoses, il faut saluer l’interprétation du ténor Grégoire Mour dans le rôle d’Uldino. Sa voix sied à son physique de jeune premier, un peu mal à l’aise sur scène lorsqu’il ne chante pas, mais au très beau timbre. Sa puissance vocale souffre de celle surpuissante de ses collègues, mais l’inverse aurait été troublant, ce qui est donc parfait par son rôle.
Malgré tous ces talents, le musicien le plus expressif sur scène reste le chef Daniele Rustioni : sa direction est fougueuse, tout en étant toujours très attentive, exhortant parfois les solistes à plus de retenue dans les ensembles, et très directive à la fois. Sa folle énergie et son investissement laissent deviner un véritable plaisir d’interpréter cette musique et sa passion de la voix. Sa passion est telle qu’il n’est pas rare qu’il tape du pied et saute sur son podium, ou même que l’on entende des grognements servant à insuffler son énergie à ses musiciens (grognements ou onomatopées parfois très surprenants).
Sous sa baguette, l’Orchestre de l’Opéra de Lyon est excellent de précision et d’homogénéité, au sein de chaque pupitre et d’un pupitre à l’autre. Le chœur est particulièrement bien préparé par Barbara Kler : les basses sont vaillantes et viriles, les femmes touchantes et apaisantes, particulièrement les sopranos. Seuls les ténors semblent manquer de puissance et d’assurance. Les passages a cappella sont admirables de précision, d’homogénéité et de justesse, notamment lors du « Ha ! Lo spirto de’ monti » (Ha ! l’esprit des montagnes – Acte II, scène 2), avec les solistes. Aucun ne manque non plus de puissance, surtout dans les fins d’actes grandioses, telle celle réjouissante de l’acte II ou le presque assourdissant final de l’acte III.
Les
spectateurs saluent cette belle soirée par des applaudissements
aussi sonores que les pages les plus puissantes de cet Attila,
passionnément grandiose.
Réservez vos places pour voir ce spectacle ce 15 Novembre 2017 au Théâtre des Champs-Élysées et le revoir le 18 Mars 2018 à Lyon.