Fins et généreux portraits de femmes par Natalie Dessay à Saint-Étienne
Natalie Dessay n’attend pas de chanter pour se montrer comédienne : dès l’introduction instrumentale de l’air de Suzanne « Giunse alfin il momento… Deh vieni non tardar » des Noces de Figaro de Wolfgang A. Mozart (1756-1791) elle est comme impatiente de pouvoir chanter. Elle se montre alors malicieuse, tant dans sa gestuelle que dans ses phrasés, de sa voix naturelle au vibrato très léger, sans lyrisme exagéré. L'auditoire est déjà subjugué par le superbe accompagnement de Philippe Cassard : son toucher caresse le clavier, semble parfois le survoler tant il est léger, mais reste toujours très vif et présent. Au micro, la soprano explique le programme avec charme et personnalité. Cet air de Mozart, avec celui de Pamina « Ach, ich fühl’s » de La Flûte enchantée, sont comme un écrin de cinq portraits de femmes magnifiés par la musique de Franz Schubert (1797-1828) : Geheimes (le secret), Die Junge Nonne (la jeune nonne), Lied der Mignon (chanson de Mignon), Suleika et Gretchen am spinnrade (Marguerite au rouet). Les deux interprètes sont en parfait accord : tous deux portent une même attention au texte, à la prononciation vocale ou pianistique et, surtout, à son sens. Ils racontent et vivent sans extravagance gratuite ces beaux poèmes de Goethe et de Craigher, n’hésitant pas à faire entendre de captivantes nuances piano.
Après une nouvelle présentation de la suite du programme, toujours avec caractère et humour, Philippe Cassard ne peut s’empêcher de partager son plaisir de redécouvrir chaque soir des interventions de sa complice toujours meilleures que les précédentes. Généreux sur scène, ils le sont aussi dans la suite de ce récital, en offrant aux auditeurs des œuvres du début du XXe siècle, qui restent injustement bien peu connues, du compositeur et chef d’orchestre allemand Hans Pfitzner (1869-1949), sur des poèmes de Gottfried Keller. La prononciation de la soprano est toujours très soignée et, pour ceux qui n’entendent pas l’allemand, sa gestuelle est parfois proche du mime, donnant du sens à chacune de ses phrases. On sent que le duo connaît bien son répertoire et ne manque pas d’assurance, Natalie Dessay chantant tout par cœur avec des transitions ou des temps de concentration particulièrement courts.
Pour la seconde partie de soirée, Natalie Dessay change sa robe noire pour une robe un peu plus légère et rose. Mais c’est là que quelques toussotements trahissent une gorge fragilisée, que le talent et le professionnalisme cachaient jusqu’ici. Néanmoins, la chanteuse ne perd pas son assurance et informe les spectateurs que c’est justement le bon moment pour eux de tousser. Malgré quelques raclements de gorge, la Chanson perpétuelle d’Ernest Chausson (1855-1899) est une belle plainte de femme abandonnée. Les couleurs orientales de L’Adieu de l’hôtesse arabe de George Bizet (1838-1875) sont sublimées par un sincère sentiment de nostalgie et des vocalises déchirantes.
Natalie Dessay laisser Philippe Cassard seul pour interprèter superbement La Fille aux cheveux de lin et Ondine de Claude Debussy (1862-1918). Les couleurs sonores qu’il produit sont absolument exquises, entraînant l’auditeur dans un tourbillon léger et impressionniste. Sans coupure, avec pour seul changement un éclairage de la scène plus chaud et lumineux, la soprano réapparaît pour Regret. Malgré ses efforts, elle ne peut empêcher un léger déraillement lorsqu’elle pose la dernière note. Troublée, voire contrariée, elle en oublie les paroles de la chanson suivante, Coquetterie posthume. Bien que l’on entende, par quelques petites faiblesses dans le médium grave, que la voix commence à fatiguer, Natalie Dessay tient bon jusqu’à la dernière longue note, au son joliment filé. Pour terminer leur programme, les deux musiciens offrent le fameux air de Marguerite de Faust (Gounod), dit « air des bijoux », qui est évidemment grandement apprécié par le public stéphanois, à raison.
Fort applaudis et rappelés, Philippe Cassard, lui aussi plein de malice, sort de sa poche de veste une partition pour un premier bis : le beau Breit’ über mein Haupt de Richard Strauss (1864-1949). Rappelés encore, et pour le plus grand plaisir de chacun, le pianiste sort de nouveau une autre partition de sa poche, dont ils s’apprêtent à annoncer le titre et finalement… « On dit pas ! ». Certains reconnaissent toutefois l’air « Tu m’as donné le plus doux rêve » de Lakmé de Léo Delibes (1836-1891), que Natalie Dessay avait chanté sur cette même scène auparavant et dont le public stéphanois se souvient apparemment encore. L’interprétation de ce chant difficile aux nuances très piano souffre de la fatigue vocal de l'interprète. Il est cependant récompensé par une salve d’applaudissements, de « bravo ! » et de « merci ! ». Alors que le pianiste montre qu’il n’a plus rien dans ses poches, Natalie Dessay, toute étonnée elle-même, sort de sa robe une partition : Mes longs cheveux extrait de Pelléas & Mélisande de Debussy. Évidemment, la salle entière ne peut s’empêcher de se lever pour applaudir ces deux musiciens si généreux.
N'oubliez pas de consulter notre interview exclusive de Natalie Dessay