Macbeth au TCE : tableaux vivants de la dramaturgie verdienne
Giuseppe Verdi s'est laissé emporter plus d'une fois par les drames shakespeariens : si Macbeth (1847) est le premier exemple de cette attirance littéraire, suivent des années plus tard, le fameux Otello (1887), puis, dans un registre comique, Falstaff (1893, actuellement à Bastille). Avec la pièce Macbeth, Verdi choisit de s'exposer à une dimension fantastique et irrationnelle nullement aisée à mettre en musique, alors qu'il est encore aux débuts de sa période créatrice. En effet, le drame se déclenche avec les prédictions d'une troupe de sorcières, rassemblées dans un bois en Écosse. Fortuitement entendues par les nobles Macbeth et Banco, ces prédictions vont inéluctablement s'accomplir et conduire Macbeth et sa femme à une soif irrépressible de pouvoir.
Soucieux d'être à la hauteur de cette pièce aux personnages complexes, le compositeur italien convoque une dramaturgie saisissante de contrastes autant dans les parties vocales qu'instrumentales, laquelle est parfaitement rendue par l'interprétation de ce mardi soir. Dès les premières mesures de l'ouverture, Gianandrea Noseda rend perceptible le dynamisme incessant de l'opéra verdien. D'une main ferme et déterminée, il conduit l'orchestre et le chœur vers des nuances subtiles puis des paroxysmes d'intensité étonnants. L'assistance en oublie presque qu'il s'agit d'une version de concert, tant le caractère évocateur est précisément rendu par les musiciens et chanteurs. Ainsi, les soprani et alti du chœur revêtues d'une étole rouge deviennent aussi terrifiantes et sournoises que les Sorcières dans la première scène, et ce, rien que par leur chant sautillant, proche du rire. Leur ronde exubérante est même évoquée par la spatialisation des voix, rendue perceptible par l'alternance des pupitres féminins.
Le couple Macbeth est parfaitement incarné par le baryton Dalibor Jenis et la soprano italienne Anna Pirozzi (appréciée récemment en Manon Lescaut à Liège). Particulièrement cohérents dans leurs rôles respectifs, ils font oublier, eux aussi, l'absence de mise en scène. Coiffé de ses longs cheveux d'ébène qui lui cachent presque sa figure lorsqu'il baisse la tête, le baryton incarne un personnage partagé entre sa soif de pouvoir et ses craintes face aux actes à accomplir pour accéder au trône. Son timbre de voix plein de force surprend parfois par sa couleur légèrement arrondie et intérieure dans les nuances piano.
Anna Pirozzi, en revanche, joue une Lady Macbeth effrayante de détermination : sourcils froncés, assise bien droite, ses capacités vocales égalent son rôle décisif dans la dramaturgie. Dès son premier air, « Vieni t'affretta », sa voix ample qui sied si bien à la mélodie simple et aérée de Verdi dévoile des tenues pleines de souffle et des aigus puissants. Ses vibrantes vocalises atteignent aisément le contre-ut à la fin du premier acte, marquant son exultation devant le meurtre accompli et surpassant en intensité tout le chœur réuni. Ses performances laissent le public subjugué et plein d'enthousiasme, rien qu'à compter le nombre de clameurs et de bravi qui succèdent à ses airs. Au point où le moindre toussotement fait vociférer ce même public avec des « sortez ! » qui ne sont pas sans rappeler les murmures du chœur des sorcières.
Bien qu'en second plan, les personnages de Banco et de Macduff incarnés respectivement par Marko Mimica et Piero Pretti surprennent également par leur prestance vocale. Tandis que le baryton-basse Marko Mimica représente parfaitement le caractère grave de son personnage par son timbre granuleux et épais, le ténor Piero Pretti éclate de franchise par ses aigus clairs et tranchants. Le tout tandis que la soprano Alexandra Zabala joue une dame d'honneur discrète mais à la présence vocale juste et tout à fait remarquable.
Malgré le caractère sombre et tragique qui traverse toute l’œuvre,
cet opéra ne se départit jamais entièrement d'une teinte comique,
suggérée par l'accompagnement orchestral à la rythmique populaire
à trois temps et souvent en décalage avec les paroles chantées.
Certainement est-ce pour annoncer un dénouement heureux, rendu
possible par le peuple qui vient renverser le couple royal, ce qui
pour Verdi et le public de l'époque, aspirant à l’unité italienne
face au pouvoir allemand, (mouvement du Risorgimento) est profondément
évocateur. En tout cas, même en version de concert, l’œuvre et son
interprétation ont su subjuguer le public parisien.