Diana Damrau rend hommage au Grand Opéra à la Philharmonie
Le programme du concert promettait « clarté, puissance et virtuosité » et la soprano colorature ne déçoit pas le public parisien : après l'ouverture de Norma (annonçant fougue et passion), Diana Damrau arrive vêtue d'une robe bleue d'inspiration flamenco. Munie d'un message, elle interprète « Nobles seigneurs, salut ! » des Huguenots de Meyerbeer. Elle incarne la folie par d'interminables vocalises et trilles, montagnes russes vocales qui donnent le ton de la soirée. Son vibrato est rapide mais de grande amplitude, elle engorge ses graves et produit quelques ports de voix, chantant pour toute la salle en projetant ses aigus (la salle en vignoble de la Philharmonie accueille du public tout autour de la scène). La soprano vit son personnage, riant, utilisant une voix quasiment parlée lorsqu'elle lance ses « saluts ». Ce premier air est accueilli par des salves d'applaudissements, que Damrau reçoit avec de profondes révérences.
Entre chaque air, l'Orchestre national de Lille interprète des pièces instrumentales, parmi lesquelles le Pas de Six de Guillaume Tell (Rossini), ou encore les ouvertures de Djamileh (Bizet) et d'Un Jour de Règne (Verdi). Les familles d'instruments sont très homogènes entre elles et les solistes (harpe, hautbois et clarinette) extrêmement talentueux, bien que l'ouverture de Zampa (Ferdinand Hérold), qui comporte de nombreux changements de tempi, pose quelques problèmes de décalages.
La soprano choisit de nombreux airs de Meyerbeer, véritable figure de proue du Grand Opéra. Dans « Ombre légère » de Dinorah ou Le Pardon de Ploërmel, toutes les émotions sont exacerbées, de l'espoir à la peur, en passant par la tristesse et l'excitation. À chaque humeur son timbre : Damrau apporte une palette de couleurs et de nuances, véritable caméléon. Elle termine très applaudie, en tournoyant dans sa robe. Passant par Massenet (inévitable quand on parle de Grand Opéra à la française), elle entre sur scène déjà en personnage, charmeuse, séductrice et narcissique, pour des airs de l'acte III de Manon « Je marche sur tous les chemins... Profitons bien de la jeunesse ». Ses piani dans les aigus sont de véritables filets de voix, produits bouche quasiment close, comme des murmures. Le chef très attentif suit la chanteuse dans sa performance solaire, que le public ne peut s'empêcher d'applaudir alors que l'air n'est pas fini, et ce à plusieurs reprises ! S'amusant de cet effet, Diana Damrau fait signe aux spectateurs de retenir leurs applaudissements dès qu'un silence suit une cadence (ce qui peut ressembler à la fin d'un air pour les oreilles novices). Loin d'être agacé par ces interruptions, le public plus averti les accueille avec bienveillance, et les réactions spontanées de la soprano ajoutent à son interprétation déjà théâtrale.
Manquant de tomber en marchant sur sa robe pendant les saluts, Damrau revient après l'entracte en robe noire à paillettes, laissant présager une seconde partie de concert plus sombre. Revenant à Meyerbeer, elle interprète « Sulla rupe, triste, sola » tiré d'Emma di Resburgo. Accompagnée de la harpe, cette aria se veut bien plus mélancolique, et plus intime, se terminant sur une touche d'espoir. Dans l'acte III du Camp de Silésie (« Oh Schwester, find' ich Dich ! »), la soprano allemande retrouve sa langue maternelle dans une interprétation orageuse, employant un timbre sombre et descendant dans les graves avec puissance. Certaines nuances trop marquées empêchent cependant la bonne compréhension du texte. Repassant à l'italien et se couvrant d'une étole rouge vif (agrémentée d'une fleur assortie dans sa chevelure), elle prête sa voix à « Mercè dilette amiche » des Vêpres siciliennes de Verdi. Ses graves poitrinés soulignent le caractère patriotique de l'air, tandis que l'un de ses rubati (assouplissement du tempo) cause un problème de départ dans l'orchestre.
En guise de dessert à ce concert exquis, Diana Damrau offre une intense interprétation de « Robert, toi que j'aime » tiré de Robert le Diable (Meyerbeer). Alternant les timbres lumineux et plus sombres, elle demande « grâce », prenant de profondes respirations et suppliant de larges graves toujours poitrinés, passant à de clairs aigus, prouvant la maîtrise de sa tessiture entière et sa facilité à jouer avec les notes. Très chaleureusement félicitée par le public, elle brandit son bouquet de fleurs comme un trophée, tandis que l'un des spectateurs crie « Paris loves you Diana », visiblement conquis par le talent de la chanteuse. En guise de rappel, elle termine avec Meyerbeer et L'Africaine (« Adieu, mon doux rivage »), « l'un de mes préférés » déclare-t-elle avant de se lancer dans des aigus aériens, presque douloureux mais toujours divins. Ce dernier air est à l'image de la performance donnée tout au long de cet hommage au Grand Opéra d'une grande soprano.
Retrouvez notre compte-rendu du disque de Diana Damrau : "Grand Opéra"