Graindelavoix chante la Vierge de Royaumont à l'Anglaise
Outre les micros de France Musique (qui diffusera le concert à une date ultérieurement communiquée), quatre ampoules à filament plongent vers le cercle des huit chanteurs (dont deux femmes) et du chef de Graindelavoix, ensemble vocal en résidence à Royaumont (2015-2018). Face à cette intensité lumineuse au milieu de la nuit cistercienne, le public doit plisser ou baisser les yeux, forcé au recueillement devant une musique mystique qui ne se regarde pas de face. Graindelavoix transporte le Réfectoire des Moines de Royaumont dans l'espace-temps : vers l'Angleterre au début du XVIe siècle.
Les sons tournoyant transportent le réfectoire des moines de l'abbaye de Royaumont vers une renaissance mystique britannique, un gothique flamboyant, un Moyen-Âge tardif et pré-moderne. Les lignes se mêlent et s’entremêlent, composant un caractère de tonalités, un personnage de couleurs, de placement et de timbre, un grain de la voix commune. Dirigé par un chef dansant, rebondissant d'un pied vers l'autre, l'ensemble est le bel assemblage d'identité distinctes, un mariage heureux avec séparation des biens. Les tessitures s'échelonnent d'une basse si grave et sombre qu'il la faudrait nommer contrebasse, et jusqu'à une soprano crépusculaire comme ses comparses. L'harmonie d'ensemble est telle que le programme cite les artistes en une seule et même phrase, sans préciser les tessitures. Les voix de ténor puisent au sombre baryton ou soulèvent un timbre de contre-ténor androgyne, comme les deux voix de femme.
Le dialogue entre basse et soprano structure la déploration comme le salut adressés à la Vierge (Stabat Mater et Ave Maria). L'édifice vocal se bâtit alors de l'intérieur, les voix entrant par quintes pures (intervalle espacé de cinq notes et le plus consonant qui soit, outre la superposition de deux notes identiques). Les lignes se colorent, rappelant dans leurs souples et endoloris ornements le placement vocal de l'Ensemble Organum et des polyphonies corses.
Célébrant l'art hypnotisant de la Renaissance, les voix se relaient, entretenant la flamme sonore qui ne s'éteint pas. Malgré des rappels enthousiastes du public, nul bis ne vient ne vient rompre le charme envoûtant de cette soirée, invitant le public à quitter l'abbaye de Royaumont au clair de lune.