La Bohème à Londres - Le Quartier Latin à Covent Garden
La Bohème au Royal Opera House (© Royal Opera House - Catherine Ashmore)
Du
haut de la scène du Royal Opera House au rideau encore fermé
descend une ligne de lumière symbolisant des flocons de neige. À
l’ouverture du rideau, de simples tréteaux et poutres de bois
blancs assemblés en forme de toit glissent lentement vers le devant
de la scène. Sous cet assemblage, quelques pots de peinture, une
chaise et un poêle d’où part vite en fumée le manuscrit de
Rodolfo.
De sa voix légère, à la ligne vocale parfaitement articulée, le Schaunard du baryton Gyula Nagy s’évertue à expliquer d’où il apporte le festin à partager. Cheveux longs et veste de velours, le musicien pourrait presque figurer au Parnasse contemporain alors que Rodolfo, interprété par le ténor Benjamin Bernheim, présente une apparence peu conventionnelle pour un poète du Quartier Latin, cheveux courts et habits plus sobres. Richard Jones a aussi fait le choix d’un Benoît plus londonien que parisien. La voix de basse chantante de Jeremy White se fait presque chevrotante par moments, accentuant l’aspect de vieux personnage dickensien, collier de barbe et haut de forme à l’appui. Son timbre quasi métallique participe de l’effet comique auquel adhère le public lors des réflexions de Benoît sur ses choix de maîtresses.
Loin de la misogynie de Benoît, Benjamin Bernheim sait incarner l’amoureux romantique, lors de sa première rencontre avec Mimì. Son timbre chaud transmet parfaitement les premiers élans amoureux de Rodolfo. Il tâtonne à la recherche des clés de la couturière mais sa voix reste assurée, sa ligne vocale constamment articulée. Les voix de Benjamin Bernheim et de la soprano Nicole Car se répondent harmonieusement au moment d'O Soave Fanciulla, il en est de même pour tous leurs duos, auxquels le public applaudit chaleureusement. L’agilité technique de Nicole Car est conservée jusqu’à l’agonie de Mimì. Ce n’est qu’à ce moment que les sons riches de sa voix s’essoufflent naturellement et que la soprano ponctue sa ligne vocale de râles et de toux. La douleur physique et morale de Mimì se voit autant qu’elle s’entend. Ses changements de costumes accompagnent son déclin, et, vêtue de gris lorsqu’elle confie à Marcello ses craintes quant à l’amour que lui porte Rodolfo, elle semble sortie d’un tableau de Hammershøi.
Admirée à Paris avec Eugène Onéguine, Nicole Car sera à l'affiche d'une Bohème à Bastille en alternance avec Sonya Yoncheva
Son
confident Marcello, interprété par le baryton Mariusz Kwiecień,
est constant dans sa présence scénique, qu’il peigne un tableau
imaginaire ou dessine des personnages grossiers au feutre sur les
poutres blanches de la mansarde. Sa technique un peu forcée au début
de l’acte I se fait progressivement agile jusqu’à la résolution
finale. Sa voix chaude se développe à l’acte II lorsque Marcello
retrouve Musetta interprétée par la soprano Joyce El-Khoury.
Dans un décor de restaurant Belle Époque, en robe de velours rouge
carmin, la flamboyante Musetta joue avec ses cheveux, prend des poses
lascives sur l’air Quando
m’en vo,
jusqu’à remonter sa robe et enlever sa culotte en soie qu’elle
agite sous le nez de Marcello, qui s’en empare et la met dans sa
poche. Concentré sur cette gestuelle, le public magnanime applaudit
et fait fi du timbre perçant et de l’articulation laborieuse de la
cocotte, qui se révèle présence généreuse et touchante à la fin de l'intrigue. La voix de Joyce El-Khoury se fait chaude et douce à la fois lors de l’ultime prière pour
sauver Mimì. La direction de Paul Wynne Griffiths confère à la scène une impression de douceur déjà ressentie et
accentuée par la harpe lors de la séparation
printanière de Rodolfo et Mimì. Luca Tittoto,
voix de basse de Colline le philosophe qui se sépare, lui, de son
manteau dans l’air Vecchia zimarra,
semble un peu statique. Sa ligne vocale est bien articulée mais
l’air semble plus récité qu’il n’est ressenti.
En
victime de Musetta, le baryton Wyn Pencarreg est un Alcindoro physiquement en retrait de la seule scène qui lui
est donnée, mais sa voix est puissante et le son riche. Il en va de
même pour Parpignol, interprété par le ténor Andrew Macnair. Dans un décor sobre de passages parisiens, Parpignol vend des
baigneurs et des jouets en bois colorés à une myriade d’enfants
habillés de couleurs pastel. Le Chœur du Royal Opera House, dirigé par William Spaulding,
est parfaitement maîtrisé, les voix bien placées, la gestuelle des
personnages, en crinoline et haut de forme, dynamique et en place
avec l’action. Celui des enfants est plus hésitant, d’autant
plus que la beauté de l’accent anglais s’accorde mal avec un
livret écrit en italien.
La
ligne de lumière qui précédait l’ouverture du rideau s’est
progressivement développée en un tapis de neige qui reste sur la
scène jusqu’à la mort de Mimì. Le silence se fait, le rideau se
referme et s’ouvre à nouveau pour permettre au public d’offrir
une standing
ovation
aux interprètes et à l’Orchestre du Royal Opera House.