Don Carlos All-Star à Paris : enjeux, défis et secrets
Les premiers enjeux et secrets, les clés de lecture, la présentation de l'histoire et des personnages sont à retrouver, avant tout, sur notre page dédiée à Don Carlos
Jonas Kaufmann : Don Carlos
Atouts :
À tout seigneur, tout honneur, la superstar lyrique est très attendue. La planète entière sera suspendue à ses lèvres et Jonas Kaufmann saura s'appuyer sur ses innombrables qualités, fusionnant le chant et l'incarnation. D'autant qu'il a déjà triomphé dans le rôle en version italienne, avec notamment une version de référence à Munich en 2012 :
Défis :
Mais Kaufmann devra aussi surmonter deux obstacles. D'abord l'endurance vocale : bien entendu, le ténor est célèbre pour sa voix puissante qui l'a mené jusqu'aux rôles les plus longs et difficiles du répertoire. S'il peut chanter près de 5 heures Parsifal de Wagner, il tiendra assurément les 4h40 avec 2 entractes pour Don Carlos. Toutefois, Jonas Kaufmann revient d'un petit pépin vocal (tous les détails ici) et son timbre si particulier (un ténor avec l'ancrage d'un baryton) inquiète toujours quant à sa résistance.
L'autre challenge concerne le français : énorme défi pour tout le plateau vocal (ou presque), il faudra chanter dans la langue de Molière (ou plutôt des librettistes de Verdi : Joseph Méry et Camille du Locle). Pour un non-francophone, notre langue est très complexe avec ses infinités de voyelles (il n'y en a qu'une poignée en italien), de consonnes (ne parlons pas de nos r, uniques au monde), de nasales, etc. Heureusement, Jonas Kaufmann a déjà fait ses preuves : son Don José de Carmen à Orange est poignant, son Werther de Massenet une référence qui l'a définitivement intronisé au Panthéon lyrique parisien.
Sonya Yoncheva : Élisabeth de Valois
Atouts :
Quelle est la plus grande soprano, la prima donna
Défis :
La diva a quelque peu terni ces derniers mois sa réputation par des annulations répétées. S'il est inconcevable qu'elle ne soit pas sur scène mardi, il reste à voir l'harmonie sur le plateau avec ses camarades super-stars et comment elle réagira face à un metteur en scène particulièrement exigeant et opiniâtre.
Elīna Garanča : Eboli
Atouts :
Carmen, Dalila, Amneris appartiennent aujourd'hui à Anita Rachvelishvili, mais la plus belle Princesse Eboli imaginable se nomme Elina Garanča. Son jeu d'actrice exceptionnel est particulièrement adapté à la jalousie glaciale de la dame d'honneur précipitant le drame (elle l'a confirmé en Santuzza, à Bastille la saison dernière).
Défis :
Elīna Garanča a pour réputation de mal prononcer le français. Un défaut constaté auparavant sur scène, ou encore dans le dernier album dont nous avons rendu compte. Ce défaut, elle le reconnaissait d'elle-même dans l'interview qu'elle nous a offerte. Toutefois, sa prononciation était bonne lors de sa dernière venue à Bastille au mois de juillet 2017 pour Carmen, un personnage qu'elle maîtrise grâce à un immense travail. Justement, si les répétitions ne durent que quelques semaines, Garanća rappelait en interview qu'une telle prise de rôle se travaille un an et demi à l'avance : il ne reste qu'à en découvrir le résultat !
Ludovic Tézier : Rodrigue
Atouts :
Ludovic Tézier est sans doute le plus grand baryton verdien de sa génération et il joue à domicile.
Défis :
Le local de l'étape devra soutenir ses collègues par sa maîtrise du français. S'il est une référence en tant que chanteur, un grand défi se pose à lui : le jeu d'acteur. Justement, il vous en parle très bientôt dans son interview Ôlyrix.
Ildar Abdrazakov : Philippe II
Atouts :
La basse s'appuiera sur sa technique russe et le placement dans le masque qui l'aide à chanter le français de manière sonore.
Défis :
Précisément, c'est sur ce point qu'il est attendu, son volume n'ayant pas toujours englouti le grand vaisseau de Bastille. D'autant que sa voix est nécessaire comme socle harmonique pour la musique et que son incarnation doit rendre l'un des plus terribles personnages du répertoire.
Les seconds rôles
Difficile et en même temps sublime que de côtoyer de telles superstars : les seconds rôles devront être à la hauteur. Heureusement, ils pourront profiter de l'émulation autour d'un tel événement. Surtout, l'Opéra de Paris jouit d'un tel prestige qu'il peut embaucher des solistes internationaux pour de petits rôles. C'est flagrant dans le casting complet à explorer ici. Au premier rang d'entre eux se place Dmitry Belosselskiy en Inquisiteur, rôle d'une importance capitale, interprété par cette basse de 42 ans à la lyricographie longue comme le bras, et fréquentant les plus grands théâtres au monde.
En Comte de Lerme, Julien Dran (qui interprète les plus grands rôles du répertoire sur les scènes de province et apparaît régulièrement à l'Opéra de Paris) côtoiera Eve-Maud Hubeaux en Thibaut, elle qui fut une remarquable Brangäne à Lyon la saison dernière.
Notons enfin comme exemple symptomatique les députés flamands, d'habitude anecdotiques et qui comptent ici des artistes comme Michal Partyka qui incarnait le rôle-titre d'Eugène Onéguine à Saint-Etienne la saison dernière (excusez du peu !), mais aussi deux des plus belles révélations de l'Académie de l'Opéra de Paris : Tomasz Kumięga et Mikhail Timoshenko.
La seconde distribution
Dans l'ombre des stars planétaires, les interprètes de la seconde distribution (du 31 octobre au 11 novembre) devront se montrer à la hauteur. Là encore, l'Opéra de Paris jouit d'un tel prestige que son "Cast B" serait le Cast A+ de nombreuses maisons internationales. En effet, aux côtés de Ludovic Tézier et Ildar Abdrazakov qui y conservent leur rôle, c'est Pavel Černoch (Lenski dans Eugène Onéguine
Krzysztof Warlikowski : metteur en scène
Warlikowski est l'un des artistes les plus polémiques au monde. Soulevant les passions, l'enthousiasme comme la haine, nul ne reste indifférent devant ses mises en scène. La liste de ses réinventions d'opéra est longue : Iphigénie en Tauride dans une maison de retraite, Eugène Onéguine homosexuel parmi les cowboys, Mélisande sortant d'un bar pour aller sur un lavabo, la nymphomanie qui envahit tout le plateau de Don Giovanni, parmi bien d'autres exemples.
Atouts :
D'une créativité foisonnante, le metteur en scène est un homme de théâtre, il défend une vision, il connaît la pièce et les différentes versions de l'opéra sur le bout des doigts (il a mis en scène une version italienne en cinq acte en 2000 à Varsovie).
Défis :
L'artiste a une réputation à la hauteur de l'événement mondial unique, mais saura-t-il faire accepter son travail au public et aux interprètes ? Débuts de réponses dans notre interview exclusive.
Philippe Jordan : Directeur musical
Le chef a annoncé son départ pour l'Opéra d'État de Vienne en 2020. Ce Don Carlos pourra donc marquer un coup d'éclat parisien, un point d'orgue spectaculaire sur l'excellent souvenir qu'il laissera à la capitale française.
Pour ce faire, un travail colossal s'est imposé à lui : il a dû mener une véritable enquête musicologique en s'accordant avec le metteur en scène, les chanteurs et la maison, pour sélectionner son Don Carlos parmi le foisonnant matériau des différentes versions possibles (explicitées dans notre présentation de l'œuvre). Un travail colossal d'autant plus difficile à mener que l'emploi du temps de Philippe Jordan est surchargé : constamment aux quatre coins du monde, il dirige en ce moment et en même temps Cosi fan tutte à Garnier et Pelléas et Mélisande à Bastille, mais également un cycle Tchaikovski à l’Opéra Bastille et à la Philharmonie ! Outre Philippe Jordan, ce sont l'Orchestre et le Chœur des lieux qui devront être à la hauteur de leur répertoire français, eux qui sont capables du meilleur mais ont parfois récemment montré quelques lacunes rythmiques.
La France, Paris, l'Opéra et son personnel
La planète lyrique mais aussi une partie du monde culturel vivra à l'heure de Paris pour cette production exceptionnelle. L'enjeu est donc pour la France de confirmer sa place majeure dans le monde de l'art et pour l'organisation de grands événements. Dans le monde de l'opéra, ce Don Carlos est une finale de Coupe du monde, un 100 mètres des Jeux Olympiques (pour la popularité du plus grand événement sportif, car pour l'endurance, il s'agît d'un double marathon). Une production réussie et le Don Carlos de Paris rivalisera avec le Don Carlo de Milan.
Un grand absent : le Ballet
Don Carlos
Une promesse
Quelles que soient les péripéties rencontrées par cette production et ses défis à relever, elle fera date dans l'histoire et laissera un enregistrement de référence, qui inspirera d'autres maisons d'opéra. Nul doute que Don Carlos prendra désormais un s et parlera français !
Découvrez notre compte-rendu de la première de ce Don Carlos incroyable à Bastille !