Yana Kleyn illumine La Bohème à Metz
La Mimi de Yana Kleyn entre sur scène et dans la vie de Rodolfo car elle n'a plus de lumière. C'est pourtant elle qui donne la lumière, le sourire et le volume au plateau et aux instruments (les violons et les bois se perdent littéralement dès qu'elle finit son air "Mi chiamano Mimì" et se retrouvent lorsqu'elle revient en duo). Le vibrato allègre est à la mesure de ce que cette voix a d'harmoniques et de caractère. Voix complète, elle emporte la chaleur gutturale jusques et y compris aux aigus rayonnants. Elle lance des fusées vocales de couleurs, sachant naturellement enfler la voix en une tornade ou filer un cristal de glace. Le parfum des fleurs qu'elle chante est d'emblée doux et enivrant. Par son intensité expressive, elle est sonore dès le pianissimo et maîtrise tout le spectre des nuances qui pourraient l'emmener dans de plus grandes salles d'opéra. Une leçon de chant que Rodolfo, l'interprète du poète, prend justement en notes.
Yana Kleyn et Diego Silva sont Mimi et Rodolfo (© Arnaud Hussenot - Opéra-Théâtre de Metz Métropole)
En Rodolfo précisément, Diego Silva semble se nourrir de la resplendissante Mimi pour déployer ses souples lignes dans le médium et ses débuts de phrases. Il tente surtout d'assurer l'aigu, qu'il passe très rapidement en voix mixte puis de tête, les passages lyriques de cet opéra, parmi les plus beaux du répertoire, fondant comme neige au soleil. Dès lors, c'est aussi une certaine blessure, une flétrissure du personnage qu'il présente : un homme qui perd tout avec Mimi, même la voix.
Yana Kleyn et Diego Silva (© Arnaud Hussenot - Opéra-Théâtre de Metz Métropole)
La Musetta de Gabrielle Philiponet (à retrouver en interview et pour L'Élixir d'amour à Nice : places à saisir à partir de 14 €) emplit aisément la salle à l'italienne de sa voix et de son énergie. Montant sur une balancelle et dans des aigus perçants, elle balaye avec application les longues lignes parcourant son ambitus, devant le ballet en carton pâte d'une femme nue chevauchant Pégase et d'une lune à moustache. Se plaignant de sa chaussure trop étroite, elle maîtrise ses effets vocaux et sait transformer un cri de douleur en chant, et réciproquement.
Gabrielle Philiponet et Régis Mengus en Musetta et Marcello (© Arnaud Hussenot - Opéra-Théâtre de Metz Métropole)
Visiblement à l'aise pour le jeu de scène, les hommes traversent avec assurance le plateau incliné tout en donnant l'impression d'être frigorifiés. Pour éviter de payer leur loyer, ils se déguisent en aveugles, revêtant des lunettes noires, des cannes et de longs manteaux (ils ont donc préféré avoir froid et ne pas mettre ces pelisses afin de ménager l'effet comique d'autant qu'une fois le sketch fini ils les raccrochent au mur et se plaignent de nouveau du froid). Le large vibrato haché du peintre Marcello (Régis Mengus, récent Escamillo de Carmen à Rennes) l'éloigne du soutien et de la justesse alors que sa mezza voce presque récitée est éloquente de naturel. En Schaunard, Mikhael Piccone (déjà chroniqué dans ce rôle, pour La Bohème de Rouen) tremble de froid et d'effroi devant le destin qui s'abat sur le plateau : les tremblements de son vibrato nuisent à sa projection. Basculant du froid au chaud, le public sait, en entendant la voix noble et profonde de Tapani Plathan, qu'avec ce personnage de Colline, il aura un très bel air du manteau, et c'est le cas, avec une chaleur slave et des aigus qui traversent le métal.
Régis Mengus, Tapani Plathan, Jean-Fernand Setti, Diego Silva et Mikhael Piccone (© Arnaud Hussenot - Opéra-Théâtre de Metz Métropole)
Colosse qui domine le plateau d'une bonne tête, le propriétaire Benoît se laisse bien vite enivrer et la voix comme le jeu du baryton titubant Jean-Fernand Setti empruntent au sommelier bouffe de Cenerentola. Les accents et la voix souterraine de Jean-Sébastien Frantz en Sergent feraient fondre la neige. Enfin Daegweon Choi ponctue le chœur du deuxième acte par les quelques brèves interventions de Parpignol, très bien soutenues (peut-être même trop toniques).
Régis Mengus, Mikhael Piccone, Diego Silva et Tapani Plathan (© Arnaud Hussenot - Opéra-Théâtre de Metz Métropole)
Les enfants du Chœur du Conservatoire de Metz campent parfaitement de petits sergents dans de somptueuses tenues bleu outre-mer, qui deviennent marine par la maîtrise des jeux de lumière lorsqu'ils retournent derrière les vitres embuées : elles répondent ainsi aux tenues colorées des danseuses du Moulin Rouge. Les jeunes voix pimpantes sont très en place, contrairement à leurs collègues adultes du Chœur de l'Opéra-Théâtre de Metz Métropole pourtant bien sonores et formant un ensemble de pupitres fournis. Sous la direction de Roberto Rizzi-Brignoli (qui dirigera Simon Boccanegra à Dijon : places à saisir à partir de 20 €), l'Orchestre national de Lorraine est mobile, parfois emporté mais laissant souvent percer de très subtils timbres.
Gabrielle Philiponet (© Arnaud Hussenot - Opéra-Théâtre de Metz Métropole)
C'est Paul-Émile Fourny, le prolifique metteur en scène (lire notre compte-rendu de la reprise de son Lakmé la saison dernière à Tours et de sa nouvelle production du Werther de Massenet à Metz la semaine suivante) et Directeur des lieux qui signe cette première production de saison à Metz (dont les autres spectacles sont à découvrir dans notre article de présentation : Fourny la conclura d'ailleurs par Samson et Dalila de Saint-Saëns). De part et d'autre du poêle central, deux tables, l'une pour travailler, l'autre pour boire. L'une des vitres non recouverte de givre laisse apercevoir les pales du Moulin Rouge et une photo embrumée d'un coucher de soleil sur Paris. Comme pour compenser le terrible drame dans lequel il est toujours l'heure du dîner d'hier, cette production se targue de la jeunesse de sa distribution et de sa légèreté de ton (qui tire parfois vers la blague potache) : on tire la chaise de celui qui s'assoit, on casse la vaisselle, sursautant on éclabousse son voisin de champagne, on joue avec un hareng en plastique et des lasers verts parcourent soudainement la scène comme dans un cambriolage qui tourne mal (puis ils disparaissent sans davantage d'explication).
Régis Mengus, Gabrielle Philiponet, Yana Kleyn et Diego Silva (© Arnaud Hussenot - Opéra-Théâtre de Metz Métropole)
Mais la poésie et l'interprète principale s'imposent, du début à la fin de cette vie sublime. Mimi s'éteint inondée d'une lumière que viennent seules balayer les ombres de la battue du chef à contre-jour.
Yana Kleyn, Diego Silva et Tapani Plathan (© Arnaud Hussenot - Opéra-Théâtre de Metz Métropole)