Requiem de Fauré sans cathédrale à la Maison de la Radio
Dans la liturgie catholique, le Requiem est la messe qui précède l'enterrement. C'est la dernière occasion pour demander à Dieu de recevoir l'âme du défunt et lui donner le repos éternel. Habituellement œuvre de commande, il fut longtemps conçu par les compositeurs comme un moyen efficace pour nourrir leurs familles. L'abondance des Requiem du répertoire lyrique montre combien les compositeurs des siècles passés avaient besoin d'argent. Mais écouter un Requiem dans une cathédrale, ce n'est pas écouter un Requiem dans une salle de concert. D'abord le son est différent, parce que la salle de concert est pensée pour l'acoustique quand la cathédrale est pensée pour l'élévation des âmes. Une salle de concert moderne ne peut restituer la déformation sonore propre aux édifices religieux, qui donne sa grandeur vespérale au Requiem. On y écoute pour ainsi dire une œuvre trop parfaite. Ensuite, la vision y est différente. L'auditorium de la Maison de la Radio n'est pas un édifice religieux. Sans doute ressemble-t-il à la cathédrale de Créteil avec ses imposantes proportions et ses parements de bois, mais l'on n'écoute pas un concert dans cette salle avec la dévotion religieuse propre aux églises. Ici pas de Christ en croix ni d'autel. Le spectacle qui se propose à l'auditeur dépouille l’œuvre de son caractère religieux pour en découvrir la seule substance musicale. Le Requiem qui accompagne ordinairement le rite de séparation des défunts et des vivants devient ici une invitation à écouter la mort.
Mikko Franck (© Heikki Tuuli)
Le Requiem de Fauré se prête assez bien à cette ambivalence, puisqu'elle est œuvre chrétienne d'un compositeur agnostique : « Tout ce que j'ai possédé d'illusion religieuse je l'ai mis dans mon Requiem ». Conçu sans commande de l'aveu même de son auteur : « Mon Requiem a été composé pour rien. Pour le plaisir si j'ose dire ! », aussi l'œuvre est-elle bien différente des Requiem les plus fameux qui l'ont précédée (de Mozart, Berlioz ou Verdi). Ici, pas d'impitoyable trompette appelant l'homme à comparaitre devant son créateur, mais la douceur méditative d'un chœur dont l'humilité et la tendresse accueille l'homme dans la vie éternelle.
Mikko Franck à la direction tient compte de la place de l'œuvre de Fauré dans l'histoire des Requiem et de son intention particulière avec un rythme doux, assez lent pour faire éprouver à l'auditeur sa douce candeur. Le baryton québécois Jean-François Lapointe au timbre à la sombre grandeur appelle avec un volume impressionnant à être libéré de la mort éternelle (Libera me, Domine, de morte æterna). Il détache avec une nette distinction les pieuses paroles latines du Requiem.
Jean-François Lapointe dans les Pêcheurs de Perles (© Opéra national de Lorraine)
La soprano israélienne Hila Fahima à la voix ardente et à l'agilité technique remarquée détache peut-être moins clairement ses consonnes mais demande le repos pour les défunts avec une tendre douceur qui exprime particulièrement le pardon et l'espérance propre au Requiem de Fauré.
L'Orchestre philharmonique de Radio France et le Chœur de Radio France ont donc présenté une version méditative à défaut d'être pieuse mais néanmoins belle et touchante du Requiem de Fauré.