Rigoletto à Tours : le cynisme en partage
Le chef Bruno Ferrandis chausse ses lunettes et lance l’Orchestre à l’assaut d’un Rigoletto
Davit Babayants dans Rigoletto (© Sandra Daveau)
Le décor de Karine van Hercke place l’action dans un espace étriqué, trois murs (se balançant au moindre contact) viennent réduire l’espace scénique de la petite scène de l’Opéra de Tours. Quelques accessoires caractérisent les lieux : un pommier pour le jardin de Rigoletto (bien sûr, Gilda finira par croquer dans une pomme !), un lit pour la chambre du Duc, une table et une toile de peinture pour l’auberge de Sparafucile.
Le rôle-titre est assuré par Davit Babayants qui met en lumière le pathétisme du personnage, un large sourire, parfaitement faux, se muant en moue désespérée en un clignement de cil. Pourtant, la voix ne rend pas toujours hommage à cette caractérisation des sentiments : il peine à exprimer musicalement, par ses intonations, ses accentuations et ses variations de timbre l’amour incommensurable du père surprotecteur, la colère sourde de la main vengeresse et la douleur inépuisable causée par la mort de la seule lumière éclairant sa vie. Seule l’évocation de la mort de sa femme provoque une vibrante rupture dans son chant, créant un poignant effet vocal. Sa voix large au timbre agréable dans les graves ne trouve pas d’ancrage dans l’aigu : la régularité de son vibrato et la fluidité de sa ligne vocale en pâtissent.
Davit Babayants et Ulyana Aleksyuk dans Rigoletto (© Sandra Daveau)
Un stress manifeste gêne Ulyana Aleksyuk, Gilda au sourire angélique, dans ses premières interventions, sa voix se perdant totalement dans son premier duo. Ce n’est que dans son air « Gualtier Malde » que sa voix s’ouvre et que son vibrato intense et son timbre pur se révèlent, mis en valeur par ses acrobaties vocales, certes encore un peu hachées, mais joliment fuselées, jusqu’au quatuor de l’acte III où sa voix ressort brillamment. Son jeu scénique pourra encore gagner en intensité : si elle joue parfaitement la honte de s’être donnée au Duc, elle ne semble pas concernée par le désir de vengeance de son père, qui la conduira pourtant ensuite à sacrifier sa vie.
Dans le rôle du Duc, c’est Rodrigo Porras Garulo qui remplace au pied levé Fabrizio Paesano. Le ténébreux ténor s’appuie sur son timbre barytonant pour projeter une voix sonore. À l’aise dans l’aigu, il prend cependant les notes légèrement trop bas ce qui génère des problèmes de justesse dans les ensembles, mais ne l’empêche pas de livrer de belles interprétations de ses deux airs solistes phares. Son interprétation fougueuse et passionnée du personnage est convaincante : il sait aussi se faire séducteur, couvrant alors davantage sa voix pour la rendre plus suave.
Rigoletto par François de Carpentries (© Sandra Daveau)
Luciano Montanaro est un Sparafucile sombre et inquiétant, dont la voix riche en harmoniques garde une belle souplesse dans les profondeurs de la tessiture. Sa longueur de souffle est également un atout pour assurer une présence scénique imposante. Ahlima Mhamdi offre ses graves saisissants à sa sœur Maddalena, tandis que son timbre velouté se tend légèrement dans les aigus. Scéniquement, elle compose un personnage spontané et sincère, rivalisant en séduction avec le Duc. Eléonore Pancrazi semble disposer d’un rôle bien plus conséquent que celui écrit par Verdi pour Giovanna : très présente scéniquement, elle tisse avec délice les conditions du supplice de sa protégée par un jeu engagé. Julien Véronèse présente un Monterone puissant et théâtralement incarné (mais dont on ne comprend pas qu’il rie durant le chœur suivant sa malédiction), qui gagnerait toutefois à s’assombrir vocalement pour mieux correspondre au personnage. Les autres rôles sont incarnés par des artistes du Chœur de l’Opéra de Tours, qui se montre lui-même précis et puissant, tant mélodiquement que rythmiquement.
Ulyana Aleksyuk et Eléonore Pancrazi Rigoletto (© Sandra Daveau)
Au pupitre, Bruno Ferrandis dirige son premier Rigoletto, ce qui ne s’entend pas tant il parvient à insuffler d’énergie, de noirceur et de contrastes à un orchestre inspiré. Les solistes instrumentaux, chaleureusement remerciés par Benjamin Pionnier (Directeur des lieux) à l’issue du concert, se montrent en verve. Voici la saison tourangelle lancée !