Porte 8 : le club musical décadent de l'Opéra Comique
Pénétrer à 22h dans l'Opéra Comique par la Porte 8 (sur le côté du bâtiment, au 8 rue de Marivaux) donne déjà à la soirée un petit goût de mystère et de privilège, renforcé par les seaux de champagne qui attendent les spectateurs sur de petites tables de quatre, après avoir fendu l'atmosphère enfumée de ce cabaret fantastique. Le brouillard se dissipera au fil de la soirée, dévoilant une salle de palais vénitien aux colonnades de marbres. Le bruit des bouchons et des coupes de champagne offrira un contrepoint aux rires des spectateurs, aux mélodies d'opérettes et aux récitations de poésie rimbaldienne.
Appuyé sur une sculpture, se mouvant sous les moulures de ce trésor caché, le clone d'Iggy Pop (Yves-Noël Genod) respire des Illuminations, avant que le clone de Claude Debussy (le pianiste Martin Surot) n'accompagne le duo de barytons Lionel Peintre et Philippe Estèphe.
Yves-Noël Genod © Charles Arden
Dans l'ambiance fin-de-siècle de ce cabaret, tous les changements se font à vue. Les artistes se perchent et se servent sur le portant à roulette chargé de costumes bariolés, expliquant que la salle Favart leur a demandé d'utiliser les stocks. Une barbe postiche s'associe à une perruque blonde peroxydée et une livrée de valet. Musicalement, le pot-pourri est aussi chamarré et délicieux, alternant, en feux d'artifice vocaux à bride abattue, des parodies en français de Figaro (Pepito-ci, pepito-là), une sérénade troussée en mimant le bruit d'une vieille guimbarde, un air d'opérette d'Hervé, ou encore Don Juan de Mozart, toujours en français. Car cette soirée renoue bien avec l'histoire même de l'institution qu'est l'Opéra Comique : le lieu légendaire, tant d'œuvres légères d'Offenbach comme de Pelléas et Mélisande de Debussy. Les artistes donnent même un exemple de "Revue", ces spectacles à la popularité incomparable au XIXe siècle, qui mettaient en chanson les événements culturels et politiques de l'année passée.
Lionel Peintre et Philippe Estèphe (© Charles Arden)
« C'est moi qui suis chargé de trouver un rapport entre l'opérette et Rimbaud », se plaint le récitant et metteur en scène Yves-Noël Genod, et il en trouve un, par une lettre de Verlaine à Rimbaud : "Parle-moi de Favart, en effet. Gavroche va t'écrire ex imo." (ex imo corde : du fond du cœur).
La soirée continue, délicieuse et pétillante. Le spectateur se délecte de la gouaille et du volume sonore des deux barytons qui slaloment entre les tables, s'approchant à quelques centimètres des sièges et des tympans.
Lionel Peintre (fort en vue et en voix à l'Athénée pour la création "Je suis un homme ridicule" et qui reviendra salle Favart pour une autre création, Kein Licht de Philippe Manoury) a une vraie voix d'opéra-comique, sortie de la radiodiffusion française avec son articulation délicate et délicieusement surannée, mais qui sait aussi tonner, couvrant puissamment ses aigus avant de les adoucir. Philippe Estèphe (qui était l'ami de Fantasio au Châtelet et le sera de nouveau à Rouen) retrouve pour sa part son assurance scénique par son organe bondissant, affirmé jusque dans la douce voix mixte ou de tête.
Réservez vos places pour passer, à votre tour, par la porte 8 de l'Opéra Comique !