Émouvantes dernières larmes de Norma à Rouen
Frédéric Roels conclut huit années passées à la tête de l’Opéra de Rouen en signant une nouvelle mise en scène de Norma de Bellini, coproduite par l’Opéra de Mascate. Il fait le pari osé d’un retour aux origines en attribuant, comme l’avait fait Bellini lors de la création, le rôle de Norma à une mezzo-soprano et celui d’Adalgisa à une soprano, afin de souligner la maturité plus importante de la grande prêtresse. Cette prise de risque, si séduisante, n’est finalement qu’à moitié payante. Si Cecilia Bartoli a su offrir une interprétation remarquable de ce rôle-titre dantesque, Ruxandra Donose (déjà titulaire du rôle d'Adalgisa) fatigue manifestement son instrument par une sur-sollicitation de ses aigus, qui en deviennent grinçants. Cet inconfort vocal l’empêche également de nuancer son chant : son Casta diva manque ainsi de cette légèreté aérienne qui en caractérise les grandes interprétations. Heureusement, ses médiums, doux ou rugueux selon l’état psychologique du personnage, ainsi que son implication dramatique, lui permettent de compenser cette difficulté.
Ruxandra Donose et Anna Kasyan (© J. Pouget)
Dans le rôle d’Adalgisa, la soprano Anna Kasyan campe une admirable Adalgisa, dont le charisme patent se nourrit d’une composition théâtrale investie, y compris au travers d’un jeu muet saisissant : l’intensité de ses regards, sa respiration, les angoisses qui assombrissent son front ou les joies qui rosissent ses joues attirent inexorablement les regards du spectateur. Cette énergie expressive sert sa prosodie, d’une grande finesse. Sa voix, aux beaux graves poitrinés, puissamment projetés et joliment vibrés, sert bien ce rôle habituellement dévolu à une mezzo. Ses aigus, parfois certes un brin tendus, ont l’agilité requise pour rendre une interprétation exquise de la partition. Elle apporte enfin un remarquable sens de la nuance, que le chef parvient à mettre en valeur en apaisant son orchestre lorsqu’elle allège une syllabe.
Anna Kasyan et Marc Laho (© J. Pouget)
Marc Laho interprète quant à lui le rôle de Pollione. Son timbre lumineux aux aigus bien projetés et maîtrisés (même si les montées pour les atteindre sont parfois hasardeuses) mais aux graves moins ancrés, a un grain nacré qui lui donne du caractère. Si ses vocalises gagnaient en fluidité, il ferait un fier ténor belcantiste, à la musicalité incontestable. Son jeu scénique en revanche pourrait être plus impliqué : il semble par exemple plus ennuyé que désespéré lorsque Norma lui annonce qu’Adalgisa va être brûlée vive.
Marc Laho, Wojtek Smilek et Ruxandra Donose (© J. Pouget)
L’Oroveso de Wojtek Smilek est imposant, tout comme son vibrato. Sa voix large et lumineuse appuie sur le côté droit et bon de cet homme de principe, plus que sur son aspect intransigeant (il réclame tout de même que sa fille soit brûlée vive) qu’une voix plus noire peut faire ressortir. Kevin Amiel est un solide Flavio, à la voix légèrement plus aigüe et métallique que celle de Laho et au vibrato court et vif. Quand à Albane Carrère, elle est une Clothilde dévouée à la voix chaude et posée.
Kevin Amiel (© J. Pouget)
Ce choix de vocalité n’est pas le seul parti-pris fort du metteur en scène Frédéric Roels. Il joue ainsi de l’aspect éthéré de la musique et des longs moments d’introspection pour incorporer à son dispositif un décor vidéo (une lune qui se rapproche progressivement jusqu’à écraser les personnages durant le Casta diva, des feuillages pour la scène ayant lieu dans la forêt, un ciel sombre voire sanglant pour le finale) ainsi que de la danse. La bonne idée de la chorégraphie tient au fait que les trois interprètes, reproduisant le triangle amoureux, n’offrent pas une traduction littérale de l’intrigue. Sauvage, poétique et sensuelle, elle trahit les hésitations, les doutes ou les déceptions cachées des personnages. Plus que les incarnations des héros, les danseurs en sont les âmes ou les rêves. La réussite totale de cet aspect de la mise en scène se révèle dans le trio final de l’acte I, qui touche au sublime, magnifiant la musique de Bellini et la belle interprétation des solistes et de l’orchestre.
Le décor de Bruno de Lavenère place l’action dans une sorte d’observatoire dont le toit de tôle, soutenu par une forêt de poutres, est percé d’une large fenêtre circulaire, permettant l’observation des astres. Par ses lumières, Laurent Castaingt parvient à alterner les ambiances, sombres, lumineuses ou sanglantes. Les costumes de Lionel Lesire placent l’action dans une temporalité et une géographie indéfinie : des kilts côtoient des costumes de villes et des manteaux de berger en peau de bête. Ce huis-clos, à peine remis en cause par la remontée du plafond dans les cintres, dépouille l’intrigue de son folklore gaulois et la concentre sur la psychologie des personnages. La direction d’acteurs, habile, met en valeur les interprètes et ne cède à la facilité que quand le Chœur accentus / Opéra de Rouen Normandie (préparé par Christophe Grapperon), puissant et impliqué, se retourne pour marquer l’introspection de Norma, ou brandit des armes sans manifestement savoir les manier.
Ruxandra Donose dans le décor de Bruno de Lavenère (© J. Pouget)
Fabrizio Maria Carminati marque un tempo allant qui dynamise certains passages mais enlève à d’autres leur apesanteur si poétique. Il ménage dans le chœur d’introduction de l’acte II des variations de tempo dynamisant le propos. Sa battue, pourtant claire, n’empêche pas un manque de précision récurrent de l’Orchestre de l’Opéra de Rouen dans les accentuations et dans les attaques. Les doux glissements des violons, le ruissellement des harpes et le son effilé des flûtes peignent des phrases musicales d’une grande douceur souvent, d’une grande violence parfois.
Fabrizio Maria Carminati dirige Norma (© J. Pouget)
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