La Vie Parisienne à Bordeaux : grande vitesse et grande allure
Pas moins de cinq prises de rôles sont à l'affiche de cette production : Bobinet pour Enguerrand de Hys, Prosper pour Jean-Paul Fouchecourt, la Baronne de Gondremarck pour Aude Extrémo, le Baron pour Marc Barrard, et Pauline pour Harmonie Deschamps ! C'est également la première fois que Marc Minkowski dirige cette œuvre. Il donne d'emblée une énergie de colosse qui sait être tonique (avec les double-croches précisément placées sur la pulsation) ou s'arrondir sur les amples lignes des musiques de salon. Chef aiguilleur, il charbonne et fait monter la vapeur d'un grand crescendo orchestral, s'assurant que nul ne déraille ni ne souffre de retard.
Sur l'ouverture et la fin de l'œuvre, le Ballet de l'Opéra national de Bordeaux fait merveille dans une chorégraphie signée Kader Attou. Les danseuses plongent dans les airs, sûres d'être rattrapées. L'association de grands portés classiques et de danses urbaines en groupes rappelle West Side Story
La Vie parisienne à Bordeaux (© Vincent Pontet)
La scène s'ouvre sur une gare moderne en chantier, avec buvette et sanisettes, ouvriers et panneaux d'affichage. Le célèbre carillon de la SNCF retentit : « Votre attention, s'il vous plaît. Le train en provenance de Trouville est entré en gare » avec une voix de speakerine émoustillée. Hommage doit être rendu aux techniciens bordelais qui, en l'espace d'un interlude, métamorphosent cette gare en combles ouverts, les toits de Paris occupant toute la largeur de la scène.
La Vie parisienne à Bordeaux (© Vincent Pontet)
La gantière Gabrielle, voix et mine radieuses d'Anne-Catherine Gillet, a un vibrato rapide, mais qui convient avec l'expressivité colorée de la ligne. De ses aigus sonores, elle peut au choix sculpter un cristal placé finement dans les aigus, ou bien l'asseoir sur de profondes résonances. Le bouchon de champagne qui éclate à la fin de sa vocalise "Qui va piano va sano
Marie-Adeline Henry s'appuie toujours aussi aisément sur l'ancrage et les résonances très basses, ce soir en Métella comme récemment en Micaëla. Dans le registre de l'opérette, elle suit aisément la ligne, sans perdre cet ancrage et offre en outre des fins de phrases aux coupes franches.
La Vie parisienne à Bordeaux (© Vincent Pontet)
Le domestique Urbain est interprété par un comédien, Aubert Fenoy (également Joseph et Alphonse) dont l'accent provincial et désuet est dans le ton pour servir le bâron. Lorsque la partition impose qu'il chante, l'effet et le volume atteignent avec peine le style de la chanson. Dans la famille des accents, je demande le couple baronial à l'accent suédois avec patois bordelais ("prenez cette chocolatine"). De quelques notes puissantes en duo, ils méritent aisément leur place sur cette grande scène. Seyant au personnage de baronne, la prononciation d'Aude Extrémo est noble (les consonnes sont chaudes et les voyelles tirent vers le "u"). Elle rend une imitation parfaite de Rossini, très saluée sur son grand air. Le personnage du Baron, son interprète Marc Barrard et sa voix tonnante vont très bien ensemble. Il se place aussi savamment dans le parlé.
Rira Kim, Adriana Bignani-Lesca, Rodolphe Briand, Maris-Thérèse Keller et Enguerrand de Hys (© Vincent Pontet)
Enguerrand de Hys prend visiblement plaisir à jouer la comédie, passant du rire aux larmes. Sa voix est aussi tonique que les mouvements de gymnastique par lesquels il appelle le Boulevard Saint-Germain à la grève (non sans ironie alors qu'un mouvement social a lieu dans le pays et à l'Opéra de Bordeaux qui a annulé la diffusion de cette Vie parisienne, prévue sur écran géant, Place de la Comédie). Philippe Talbot (Raoul de Gardefeu) atteint tous ses aigus, mais ils sont très serrés. Cabot, il traverse le plateau en jouant avec les lumières, imitant Dalida par une robe rose, récitant : « Tenait en son bec un fromage. Proust ! »
Philippe Talbot et Anne-Catherine Gillet (© Vincent Pontet)
Le train en provenance de Rio de Janeiro débarque un brésilien, Mathias Vidal, qui manque de souffle. Ses débuts de phrases sont ainsi réjouissants, toniques, articulés, justes, mais le son disparaît après quelques mots. À l'inverse, Jean-Paul Fouchecourt en bottier Frick clone de Karl Lagerfeld (une célébrité en vogue à l'opéra : voir notre critique de Salomé à Strasbourg par Olivier Py) a des phrases d'abord haletantes et hachées qui gagnent en amplitude et vibrato. En Pauline, Harmonie Deschamps, mérite son prénom et son nom avec une belle voix pleine de douceurs, notamment face au baron, tandis que Marie-Thérèse Keller en Léonie s'insère avec énergie dans les ensembles qu'elle ponctue de quelques mots.
Le Chœur de l'Opéra national de Bordeaux se joint aux réjouissances, avec des voix bien menées esquissant quelques pas et tours, les bonnes sœurs avec les femmes voilées, les visons avec les tongs. La joyeuse bande se fait livrer une salade par coursier, fait le jeu de la bouteille, et pif ! paf ! pouf ! Voilà La Vie Parisienne d'Offenbach, du plaisir à perdre haleine dans un plateau de tutus et rideaux d'or menant au triomphe exultant et mérité de cette production à grande vitesse, à fière allure.
La Vie parisienne à Bordeaux (© Vincent Pontet)