L'Opéra Comique enterre Miranda sur des airs de Purcell
L'histoire se déroule après les évènements de La Tempête de Shakespeare : Prospero est exilé avec sa fille Miranda sur une île, où vient s'échouer le Roi de Naples et son fils Ferdinand. A la fin de la pièce, Miranda est mariée au Prince. Depuis ce mariage arrangé par Prospero, 13 ans se sont écoulés. Miranda met en scène son suicide pour assouvir sa vengeance sur les hommes de sa vie. Voilà l'histoire racontée par la librettiste Cordelia Lynn et la metteuse en scène Katie Mitchell. Pour mettre en musique cette histoire nouvelle, Raphaël Pichon a sélectionné des pièces de Purcell (hormis huit d'entre elles composées par d'autres) pour en faire un semi-opéra, genre populaire au XVIIe siècle, réunissant théâtre et musique. L'alternance du chanté et du parlé est ici conservée et vient façonner le récit de la vie de Miranda. Ce personnage, secondaire dans la pièce de Shakespeare, prend ici la tête d'affiche, dans une quête de vengeance régie par la haine : elle interrompt ses propres obsèques vêtue d'une robe de mariée mais reste masquée sous son voile, avant de révéler son identité. Grâce à l'aide de complices (qu'elle rémunère à la fin), elle prend en otage tous ceux venus lui rendre un dernier hommage pour raconter sa version de l'histoire. C'est ici qu'entre en jeu le "masque" typique du genre (mise en abîme d'une scène jouée dans une pièce de théâtre), qui s'entend ici dans tous les sens du terme. "Violée, abusée, mariée alors qu'elle n'était encore qu'une enfant" : voilà ce que reproche à son père et son mari cette Miranda prête à tout pour faire enfin entendre sa voix.
Dans une église protestante du sud de l'Angleterre, on enterre Miranda (© Pierre Grosbois)
Ce changement de point de vue émerge du désir de la metteuse en scène Katie Mitchell d'encrer l'histoire shakespearienne dans le présent, la rapprochant de la lutte féministe : elle donne ici au personnage de Miranda les pleins pouvoirs sur son récit, et le pouvoir au sens propre, lui confiant une arme à feu et faisant d'elle la preneuse d'otages. L'objet de convoitise devient tyran à son tour. Dans ce rôle, Kate Lindsey convainc, portée par la haine, utilisant sa voix de poitrine dans les graves et jouant de l'air dans sa voix. Les tremolos et vibratos serrés qu'elle projette, ainsi que ses consonnes percutantes transmettent l'émotion du personnage, à fleur de peau, aveuglé par son chagrin et son désir de vengeance. Le jeu n'est pas fin mais n'a pas besoin de l'être dans le tourbillon qu'elle représente. De son côté, Katherine Watson incarne la femme de Prospero, enceinte, cherchant à consoler son époux dévasté par la perte de sa fille aînée. Elle se trouve tiraillée entre son avenir et le passé familial, qui revient les hanter et l'épouvante. La soprano brille ici autant que Lindsey, utilisant une palette d'émotions vocales impressionnante : ses piani cristallins s'opposent à ses forte frissonnants, véhiculant autant de chagrin que d'espoir.
Sous son voile et son masque, Kate Lindsey incarne Miranda (© Pierre Grosbois)
Henry Waddington, annoncé souffrant juste avant la représentation, joue le rôle de Prospero sur scène, mais le chant est assuré par Alain Buet depuis la fosse. La performance de ce dernier est d'autant plus impressionnante qu'il a reçu la partition le jour-même : sa voix est posée et assurée, les graves quelque peu appuyés. Sur scène, Waddington ne perd pas la face et joue son personnage, colérique et affligé, émouvant lors de l'ultime scène, pensant à mettre fin à ses jours.
Dans le rôle de Ferdinand, Allan Clayton est un veuf désespéré. Il lance une voix claire et puissante, presque lumineuse, qui ne se brise pas mais en donne l'impression, lorsqu'il supplie Miranda de lui donner une seconde chance. Quel dommage qu'il n'ait pas plus à dire ! Marc Mauillon incarne, quant à lui, le pasteur dont les sermons ne parviennent ni à apaiser le chagrin, ni à raisonner les preneurs d'otages. Son accent français très légèrement perceptible (parce qu'entouré d'anglophones natifs) est vite oublié grâce à son timbre cuivré et sa diction presque martelée, évoquant la rythmique des prières.
Les complices rejouent les scènes de la vie de Miranda (© Pierre Grosbois)
Le jeune Aksel Rykkvin incarne le fils de Miranda et Ferdinand et montre toute l'étendue de son talent, déjà reconnu dans son pays natal. Le Norvégien, âgé de 14 ans, sait placer sa voix de soprano, en projetant ses aigus, avec toute la pureté qui accompagne une voix de garçon.
Depuis la fosse, l'Ensemble Pygmalion est une couverture sonore homogène, précise et mélancolique. L'équilibre parfait entre les instruments se reflète sur scène chez les choristes, qui produisent de formidables nuances, dont un pianissimi si intense que le silence dans le public en devient presque assourdissant. Le travail de Raphaël Pichon est encore une fois indéniable, tricotant avec les notes de Purcell pour offrir à l'Opéra Comique une création baroque et moderne.
Kate Lindsey tombe le voile (© Pierre Grosbois)